Jean PFLIEGER Rang: Administrateur
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| Sujet: Capitaine Teddy RASSON dit Robert TREVOUX Ven 21 Fév 2014 - 7:44 | |
| Biographie
Capitaine Teddy RASSON dit Robert TREVOUX (1905-1944)
Par Bernard Linder, responsable du Cercle d'Histoire et Patrimoine de Waldolwisheim, membre du Souvenir Français comité de Saverne, membre de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Saverne et Environs (SHASE).
© Bernard LINDER Le Capitaine Teddy (Edouard) Rasson La stèle au bord de la D421, . . dit Robert Trévoux il a été abattu à quelques mètres de là.
En sortant de Saverne - au Nord de l'Alsace - en direction de Dettwiller, se dresse une stèle au bord de la RD 421 en l’honneur du Capitaine Teddy Rasson. Cette stèle, érigée le 14 juin 1947 a été déplacée en avril 2012, un peu plus loin, à l'angle de la route Mazarin, un endroit mieux accessible en voiture.
Un article paru dans les Dernières Nouvelles d'Alsace du 23 avril 2011, mentionnant cette stèle, parvient à la connaissance de Monique Rasson, fille de Teddy Rasson. Celle-ci prend alors contact avec Etienne Barthelmé auteur de l'article. Dans cet article, il est écrit que le capitaine Rasson est de souche américaine, cette conviction est largement répandue dans la région et m'a fait réagir. J'avais déjà fait des recherches à ce sujet il y a quelques années, j'ai alors relancé mon enquête dans la région savernoise. Ayant découvert des documents et témoignages inédits, j'ai décidé de les publier à travers cet article avec l'accord de Monique Rasson.
Qui était le capitaine Rasson et quelles sont les circonstances de sa mort?
Mes sincères remerciements à: Mme Monique RASSON – MM. Etienne BARTHELME - Jean-Marie CREMMEL - Antoine FEIDT - Joseph GANTZER et Jean-Claude WOLFF †
Préambule:
Monique Rasson est née en octobre 1944 et n'a donc pas connu son papa, mort pour la France le 24 novembre 1944, à la sortie de la forêt du Kreuzwald sur la RD421. Monique a été élevée par sa mère dans le souvenir de son père et avait accompagné celle-ci dans ses voyages à Saverne. Elle est toujours restée en contact avec la Fondation Général de Hautecloque, située à St-Germain-en-Laye, puis à Paris Montparnasse. En 1996, sa santé déclinant, Mme Nicole Rasson veuve du capitaine Teddy Rasson, avait mandaté sa fille Monique pour se rendre au monument qui venait d'être restauré par le Souvenir Français. Alors qu'elle y apportait des fleurs, le 1er décembre 1996, elle rencontra par hasard Ernest Vollmar, un habitant de Waldolwisheim, propriétaire d'un champ au bord duquel est érigé le monument. M. Vollmar, était âgé de 13 ans quand il avait été témoin des événements du 24 novembre 1944.
Qui était le Capitaine Teddy RASSON
Nota: Dans la mémoire populaire, Teddy RASSON a des origines américaines. Le patronyme RASSON n’étant pas connu en Alsace et la déformation du prénom Teddy pour Edouard, peut effectivement faire penser à un américain. Au début de mon enquête j'avais clairement établi que le Capitaine Rasson était bien français, soldat de la 2ème DB, mais sans plus de détails.
Edouard, nommé Teddy Rasson, est né le 16 janvier 1905 à Roubaix (Nord). De 1920 à 1922, il fait des études supérieures de mathématiques au collège de Normandie en Seine-Maritime. Il travaille ensuite à la Lainière Vanoutryve.
En 1929 il épouse Nicole Masurel; Nicole a trois frères – Jean, Antoine et Gérard – qui seront tous trois résistants. Teddy Rasson est particulièrement lié avec Antoine. Leur père Jules Masurel s'occupe avec ses fils de la Lainière, qui aidera pendant la guerre les réseaux de la Résistance du Nord.
Brillant cavalier, il excelle au polo et dans bien d'autres sports. En 1936, il est en formation d'officier à Saumur.
En 1939-40 il rejoint son affectation à Sedan au bataillon du 31e Dragons. Il suit les cours des officiers de renseignements.
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«Citation à l’ordre du Régiment Donnant droit au port de la Croix de Guerre RASSON Edouard Lieutenant Officier de renseignements, chargé dans la nuit du 16 au 17 mai 1940 d’aller porter des ordres près d’AVESNES. Est tombé sur des autos mitrailleuses ennemies et a accompli sa mission malgré un feu intense, est revenu avec sa voiture criblée de balles. BRESLE, le 1er juillet 1940. Le Chef d’Escadron de Villers Cdt. par intérim le 31e Dragons» ____________________________________________
Le 28 août 1939, son épouse Nicole est affectée à la 23e section des Infirmières de la Croix-Rouge à Toul, service de santé 20e région.
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«CITATION à l’ordre du Régiment Madame RASSON, née MASUREL Nicole Infirmière S.S.B.M. Ambulance médicale C.A.20 «Infirmière animée du plus pur esprit de sacrifice et d’abnégation, acceptant de grand cœur les tâches les plus humbles. A su se faire estimer des malades et du personnel infirmier. Au cours du mouvement de repli du 14 au 20 JUIN de MORHANGE à RAON L’ETAPE a contribué par sa bonne humeur à maintenir le moral du personnel infirmier du détachement. Le 21 JUIN, à Raon- l’Etape, alors que la formation était déjà prisonnière, a donné à tous l’exemple du courage et du mépris du danger en présence de l’adversaire, en circulant calmement au milieu du convoi de prisonniers en partance, sous un tir de harcèlement exécuté par l’artillerie française sur la formation.» RAON L’ETAPE le 20 juin 1940 Le Médecin-Capitaine GALLOUIN, Médecin-Chef de l’Ambulance médicale C.A.20 Sera soumis à l’approbation de l’autorité supérieure pour citation à l’échelon C.A.» ____________________________________________
Il convient peut-être aussi de mentionner que la Croix de Guerre 1939-1945 a été décernée par la suite à Mme Nicole Rasson. La citation décrit Mme Rasson dans ces termes:
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«Puissance morale de premier ordre – particulièrement apte à remplir les fonctions d’infirmière chef d’équipe. Possède un gros ascendant moral sur le personnel, car elle sait accepter le service le plus humble avec la même simplicité que la tâche la plus ingrate.» ____________________________________________
De 1940 à 1942, Teddy Rasson est capitaine de réserve. Il fait partie du réseau "Etoile" en qualité d’Agent P1 des Forces Françaises Combattantes, d'où son nom de résistant "Robert Trévoux". Antoine Masurel sert également dans ce réseau. En septembre 1943, il rentre dans un réseau de renseignements.
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«CITATION à l’ordre de l’Armée RASSON Teddy, Capitaine Officier de cavalerie plein d’allant, digne des belles traditions de son arme. A rendu de nombreux services à la RESISTANCE avant d’entrer en septembre 1943 dans un réseau de renseignements. Chef de ce réseau y a fait preuve, en toutes circonstances, du plus grand mépris du danger. Recherché personnellement par l’ennemi, n’a quitté son poste que sur l’ordre impérieux de ses chefs. P.C. 15 juin 1944.» ____________________________________________
© Bernard LINDER
Début avril 1944, il rejoint l’Angleterre. Il rencontre le Général Leclerc et est incorporé dans la 2ème D.B, attaché au Bureau de la Sécurité militaire, sous les ordres du Capitaine de Bagneux (1).
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(1) Dans une lettre adressée à son épouse Nicole le 04 juin 1944, il écrit: «En gros nous devons nous occuper de contre-espionnage (...) et en opérations nous aurons à faire des coups de main pour nous emparer de documents (...), empêcher les boches de saboter et trier les Français qui voudront se joindre à nous»
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Teddy Rasson avait à son actif plusieurs missions périlleuses qui décidèrent le Général Leclerc à l’appeler à ses côtés comme Aide de camp. Il était missionné de la relation avec les civils libérés.
Le 31 juillet, il débarque avec la 2ème D.B. sur les plages d'Utah Beach à St Martin de Varreville dans la Manche. Le débarquement de la 2ème DB durera jusqu'au 4 août.
Le 23 août il est à Rambouillet et le 25 août il participe à la Libération de Paris avec la troupe glorieuse de Leclerc.
Novembre 1944 - Le Colonel Jacques De GUILLEBON avec le Capitaine RASSON © Bernard LINDER
La Libération de Saverne le 22 novembre 1944
Résumons les semaines qui précédent la Libération de Saverne, afin de recréer le contexte dans lequel nous verrons la présence mais surtout la disparition tragique du Capitaine Teddy Rasson. Depuis le 25 août 1944, le gouvernement provisoire de la République Française, dirigée par le Général de Gaulle, siège à Paris.
Début septembre, l'offensive alliée est arrêtée à Blâmont par la "Vorvogesenstellung". Cette ligne d'obstacles, orientée Nord-Sud passe par Gontrexange et Blâmont.
Le 21 septembre, le Général de Gaulle adresse une lettre à Eisenhower expliquant l'importance symbolique pour l'armée française de participer directement à la Libération de Strasbourg et ainsi honorer le Serment de Koufra (2).
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(2) Le 2 mars 1941 à Koufra en Lybie, le Colonel Philippe Leclerc demande à ses hommes: "Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront sur la cathédrale de Strasbourg".
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La 2ème Division Blindée, la Division Leclerc, se verra donc intégrée dans le dispositif offensif des alliés.
Le 31 octobre, la 2ème DB pénètre à Baccarat, libérée en une demi-journée grâce à une erreur tactique providentielle. L'offensive bute alors sur les défenses d'Ancerviller. Le 13 novembre, commence l'attaque de la "Vorvogesenstellung". Après de rudes combats, la ligne des Vosges est enfin percée.
Une deuxième ligne, la "Vogesenstellung" défend directement Saverne et couvre Phalsbourg, Lutzelbourg et Saint-Quirin. L'actuelle RD1004 se verra particulièrement protégée autour de Phalsbourg et au col de Saverne. "Les hommes de Lupstein qui n'étaient pas en âge ou non aptes à être incorporés, devaient se rendre à Vescheim pour y creuser des fossés antichars "schànse". Faisant preuve d'un manque de coopération avéré: "Nous partions de Lupstein en vélos le lundi matin et empruntions le Dòssmerthal par Oberhof et Pfalzweyer (23 km), pour arriver à Vescheim dans la soirée. Ce qui n'était évidemment pas sans risque, mais les crevaisons étaient particulièrement courantes... "Par contre, le vendredi, nous prenions le col de Saverne (26 km) et mettions à peine deux heures pour le chemin du retour" (3).
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(3) Témoignage de feu Alphonse Linder de Lupstein, père de l'auteur. A cette même période, Alphonse Linder a rejoint les F.F.I. avec plusieurs de ses camarades. En rentrant un vendredi de Vescheim, ils ont bloqué l'entrée du tunnel du chemin de fer à Stambach avec un énorme tronc d'arbre, immobilisant ainsi un convoi allemand dans le tunnel.
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Hubert Gautier (4) note dans son carnet de route: 17 Nov. Départ de Baccarat avec Capitaine Rasson et Bou Arada (5) - Pris sous le feu de 88, nous l'échappons belle... 18 Nov. Coucher à Badonwiller. Mort du Colonel de Lahorie. 20 Nov. Cirey. 21 Nov. Départ de Cirey pour Saverne par le Dabo. 22 Nov. A 14h, entrée à Saverne
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(4) Hubert Gautier (on peut supposer qu'Hubert Gautier est un compagnon d'arme) mentionne ces quelques dates, dans une lettre de Sfax (Tunisie), adressée le 23 novembre 1946 à Mme Vve Nicole Rasson.
(5) Bou Arada dit "Bonada" était le chauffeur (noir) du Capitaine Rasson. Bou Arada est le nom d'une localité du sud tunisien et l'on pourrait admettre qu'il était d'origine tunisienne. Il a probablement rejoint Leclerc lors de son périple en Tunisie.
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Le 20 novembre, Monseigneur Hascher, évêque d'Amazonie, seul à connaître le message personnel pour Saverne "Les roses de Calcutta sont magnifiques" captait ce message dans sa chambre à la Maison des Pères du Saint-Esprit à Saverne. C'est le signal qui annonce l'offensive sur Saverne pour le 22 novembre vers 13 heures.
Le Général Leclerc ordonne de fixer l'ennemi en laissant croire que l'effort de la Division se porte sur le col de Saverne et la trouée de Lutzelbourg. Or, c'est par le "trou" du Dabo (6), que Leclerc a habilement su exploiter, que les alliés débouchent sur la plaine d'Alsace. "Foncez comme des brutes" à travers la forêt vosgienne pour surprendre l'ennemi.
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(6) Au Dabo, un certain Vernier prend en photo le Capitaine Rasson aux côtés du Colonel de Guillebon.
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Le 21 novembre à l'aube, les chars du S/s Gpt Massu progressent difficilement en traversant Saint- Quirin, Abreschwiller, Walscheid, Dabo et Obersteigen. À la tombée de la nuit, le Général Leclerc, qui fête ce jour-là ses 42 ans, s'installe au château de Birkenwald où il passera sa première nuit en Alsace.
Carte créée par Bernard Linder d'après le recoupement de différentes sources. © Bernard LINDER
Le 22 novembre, les ordres de Leclerc sont: "Prendre Saverne, prendre le col et pousser vers Phalsbourg". Les unités quittent Reinhardsmunster vers 10h30. Le S/s Gpt Minjonnet longera la montagne par Saint-Gall et Haegen pour déboucher sur Saverne par la rue du Château d'Eau pour pousser immédiatement vers le col. Massu interviendra par le sud et le Capitaine de Vandières contournera Saverne par Schwenheim, Furchhausen et Waldolwisheim (7) pour remonter sur Saverne par la RD 421.
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(7) Les habitants de la rue principale de Waldolwisheim sont étonnés d'entendre les troupes libératrices parler en français car ce sont les G.I. qu'ils attendaient. Les chars de de Vandières ont traversé la rue principale à une telle allure qu'au bas du village les habitants ne savaient pas dans l'immédiat que le village était libéré.
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Joseph Gantzer (né à Waldolwisheim en 1930, il avait donc 14 ans) se souvient: "Aux environs de 11 heures, la colonne alliée est venue de Furchhausen. Deux sous-officiers allemands qui avaient trouvé refuge dans une maison de Waldolwisheim pour la nuit, ont tenté de fuir sur une moto en direction de Furchhausen. Ils ont été abattus au niveau du nouveau cimetière, l'un gisait dans le fossé, l'autre a pris un chemin de terre à gauche et a été mitraillé sur sa moto. Les deux corps furent enterrés au cimetière du village avant que leurs dépouilles ne soient récupérées.
Les chars ont traversé la rue principale et se sont arrêtés à la sortie du village, sur les hauteurs de l’actuel terrain de football, pour mitrailler les allemands en contrebas et sur la RD 421.
Avec mon copain Lucien Koestel on s’étaient cachés dans un fossé. Une rafale de mitrailleuse tirée à partir d’un char allié a failli nous être fatale. A peine les tirs eurent-ils cessés nous nous sommes levés et nous mîmes à courir; à ce moment-là le tireur s’est probablement aperçu qu’il ne s’agissait que de gamins. Les troupes ennemies étaient totalement désorganisées et en complète débandade. Les cadavres de soldats allemands et de chevaux jonchaient le sol."
A 13 heures commence l'investissement de Saverne. "L'abbé Becker sonnait les cloches de son église à toute volée et appelait ainsi la population aux armes comme il était prévu sur nos affiches" ( 8 ). Le détachement Rogier du S/s Gpt Minjonnet pénètre par le belvédère et l'actuelle rue du Général Leclerc et atteint la Place des Dragons.
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( 8 ) Capitaine Francis Wolff, chef des F.F.I. du secteur de Saverne.
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Le S/s Gpt Rouvillois, venant de La Petite Pierre s'empare de Weiterswiller, Neuwiller lès Saverne puis Steinbourg, avant de se diriger vers Saverne par Monswiller.
Le Général von Bruhn (9) qui allait inspecter les défenses au col de Saverne est capturé. Le S/s Gpt Massu entre à Saverne par les routes du sud-est.
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(9) Le Général von Bruhn commandait la 553ème Volksgrenadiere Division et était responsable de la défense de Saverne, la "Vogesenstellung".
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A propos de la Libération de Saverne, il faut souligner l'acte "héroïque" de Vladimir HEVR (d'origine tchèque), Maître Brasseur à La Brasserie de Saverne. Son exploit avait été mentionné dans les DNA: "Dans la nuit du 21 au 22 novembre 1944, 80 soldats allemands en arme s'étaient "planqués" dans les caves de la Brasserie. Le 22, au matin, quand il a vu les chars de la 2ème DB se pointer, il a bloqué toutes les portes de la cave et il a appelé les FFI de Francis Wolf, qui les ont cueillis, sans effusion de sang."
Beau-père d'Etienne Barthelmé, Vladimir HEVR lui parlait souvent de cet événement qui l'avait marqué à vie!
La bataille se poursuit dans le col, Saverne est libérée.
Le 22 novembre, le Capitaine RASSON est à Saverne:
Ce 22 Novembre 1944, les F.F.I. de Saverne et des villages environnants, ont fait prisonnier bon nombre de soldats allemands.
"Parmi les prisonniers se trouvait le Général allemand von Bruhn. Vers 15 heures, le Capitaine Teddy Rasson de la 2ème D.B. s'est présenté à mon P.C. avec la prière de l'accompagner et d'assurer sa sécurité pour l'acheminement à Birkenwald, Q.G. du Général Leclerc, du Général von Bruhn." Cet extrait rédigé par le Capitaine Francis Wolff figure dans un ouvrage jamais publié: La Résistance Combattante du Bas-Rhin – FFI du Commandant François. Amicale des Anciens de la Résistance Combattante du Bas-Rhin. Cet ouvrage reprend tous les rapports d'activités des différents secteurs F.F.I. du Bas-Rhin. (10)
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(10) Merci à Jean-Claude Wolff † pour son aimable concours ainsi que le témoignage suivant: "J'étais encore un petit garçon et j'étais avec mon père (Francis Wolff) quand il s'est entretenu avec le Capitaine Rasson sur la Place des Dragons dans l'après-midi du 22 novembre".
Le Capitaine Rasson à droite sur la photo au QG du Château de Birkenwald © Bernard Linder
Nous avons vu plus haut que le Capitaine Teddy Rasson, aide de camp du Général Leclerc, était missionné de la relation avec les civils libérés. Cet après-midi, il est donc aux côtés du Général Massu et remet un message du Général Leclerc au Capitaine Francis Wolff, chef des F.F.I. du secteur de Saverne et au Comité de libération de Saverne, à son maire Henri Wolff et son conseil, dont la mission est d'assurer l'ordre public, avec la priorité d'éviter "l'épuration sauvage" des éléments pro-germaniques et d'assurer le ravitaillement de la population.
A 18 heures, plus de 1500 prisonniers étaient déjà massés au Foyer Saint-Joseph et gardés par les F.F.I. du capitaine Francis Wolff.
Le 23 novembre Strasbourg est libérée. Le Capitaine Rasson était probablement encore occupé à Saverne en ce lendemain de sa libération, afin de faire maintenir l'ordre public. Hubert Gautier écrit encore: "23 Nov. Dîner à Saverne chez le juge Weler avec Vernier et le Capitaine (Rasson)".
Le 24 novembre le Capitaine Teddy RASSON est tué sur la RD 421:
On est en droit d'admettre, que le 24 novembre, venant de Birkenwald, il était de passage à Saverne pour se rendre vers Strasbourg par Dettwiller. Il n'y parviendra jamais. Dans la matinée, Ernest Vollmar âgé de 13 ans habitant à Waldolwisheim, est témoin du mitraillage du Capitaine Rasson dans sa Jeep. Nous avons vu dans le préambule dans quelles circonstances Monique Rasson a rencontré Ernest Vollmar.
Voici les faits historiques qu'Ernest Vollmar a rapportés à Monique Rasson le 1er décembre 1996: "Les chars américains, au carrefour de la Faisanderie voient quatre avions allemands venir sur eux à très basse altitude: ils tirent et deux de ces avions sont abattus. Les deux autres s'écartent et ayant fait demi tour reviennent sur la Jeep du Capitaine Teddy Rasson, qui venait du PC du Général Leclerc à Birkenwald. Le capitaine, assis à côté du chauffeur, est transpercé d'une balle de mitrailleuse. Le drapeau tricolore dans les mains, il meurt sur le coup en criant "Vive la France".
Dans son carnet de route, Hubert Gautier note ceci: 24 Nov. Départ pour Strasbourg. Attaqué à la bombe et à la mitrailleuse, par quatre Messerschmitt. Le Capitaine est tué. Bou Arada, blessé.
La providence m'aidant dans mes recherches, je rencontre Jean-Marie Cremmel (11).
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(11) Jean-Marie Cremmel (né en 1931), qui habitait alors la maison familiale le Restaurant "à l'Etoile du Matin" au carrefour des routes Saverne-Dettwiller et Steinbourg-Waldolwisheim. Il a noté sous différents chapitres, ses propres "Souvenirs de Guerre 1939 - 1945". Sous le titre - 24 Novembre 1944, Attaque aérienne allemande - il relate la mort du Capitaine Teddy RASSON.
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Voici le témoignage de Jean-Marie Cremmel extrait de ses "Souvenirs de Guerre 1939-1945", un témoignage émouvant: "Deux jours après la Libération (de Saverne). Devant notre maison, une voiture militaire roule lentement. Les occupants sont des soldats anglais qu'on reconnaît à leur casque plat. On n'en verra pas beaucoup près de chez nous.
Trois avions de chasse volent à très basse altitude. Venant de l'Est, ils passent à la verticale de Waldolwisheim et se dirigent vers Saverne. Difficile de les identifier. Ma mère qui regarde par la fenêtre et pense qu'il s'agit d'avions alliés, me dit: "Maintenant tu peux les observer tranquillement".
Les voici qui reviennent et cette fois directement vers nous. Soudain, ils piquent et je vois une bombe qui se détache du premier. En même temps, j'entends des bruits de mitrailleuses. J'ai compris et file à toute allure vers le fossé le plus proche pour me mettre à l'abri. Ce sont des chasseurs allemands. Surprenant, car à l'approche de la libération on n'en voyait vraiment plus beaucoup.
Un peu plus tard, mon père (Albert) revenant de Saverne nous relate le triste spectacle auquel il vient d'assister. Sur la route, à environ un kilomètre de chez nous: une Jeep mitraillée et un chauffeur qui pleure son officier tué. La victime, nous le saurons plus tard, est le Capitaine Teddy Rasson dit Robert Trévoux. (Une croix en grès érigée au bord de la route rappelle aujourd'hui son souvenir).
Nous trouverons également plus tard deux morceaux de tôle en forme de petite baignoire. Il s'agit d'une arme un peu spéciale: une sorte de bombe qui, après largage, s'ouvre et arrose le sol de son contenu (éclats et autres objets...)".
- D'après le Luftwaffen Archiv, les trois chasseurs des Bf 109, sont rentrés sains et saufs et appartenaient au Jagdgeschwader IV/JG4, sous le commandement du Hauptmann Wilhelm Steinmann -.
"Ils auraient très bien pu être abattus sur leur chemin du retour, car lorsqu'un avion allemand se pointe près d'une route ou d'un campement militaire on lui tire dessus de partout: D.C.A. et aussi chars, half- tracks, et même G.M.C., Jeeps etc.... souvent équipés en mitrailleuses. Vu le feu nourri qui l'attend ainsi, il a peu de chance de s'en tirer, sauf s'il vole très bas et s'il arrive à créer la surprise." Ce rapport poignant est probablement la seule et unique trace écrite de ce drame. Il est vrai que ces trois (ou quatre) Messerschmitt n'avaient plus aucune raison de survoler et de mitrailler cette route, Saverne étant libérée depuis deux jours. Strasbourg est libérée la veille. A croire que pour le Capitaine Rasson, le sort en a voulu ainsi.
© Bernard Linder
Un troisième témoignage, celui de la part de Joseph Gantzer précise:
"J’avais 14 ans et le passe-temps favori des garçons de Waldolwisheim durant ces quelques jours particulièrement éprouvants (voir chapitre précédent sur la Libération de Waldolwisheim), était de "récupérer" tout ce qui pouvait être plus ou moins utile. Je me rappelle avoir rapporté à la maison des couvertures et même un fusil. D’autres démontaient les roues des véhicules abandonnés. Par pudeur, je ne touchais jamais aux objets personnels des soldats morts, comme les documents ou leur argent.
Le 24 novembre, comme les jours précédents, j'étais avec mon copain Lucien Koestel à la recherche de choses et d'autres quand j'ai vu une Jeep, toute seule, à l'arrêt sur la RD421. Elle était dirigée vers Dettwiller, j'y suis allé, Lucien était resté en arrière. J'ai vu le chauffeur de type nord africain, debout à côté de la Jeep, il ne semblait pas blessé. Il était en train de réarmer son fusil ou pistolet mitrailleur. Dans la Jeep j'ai vu, côté chauffeur, un corps recouvert d'une couverture jaune de l'armée. D'après la position du corps, j'avais déduit que c'était le conducteur *.
Je ne comprenais pas ce qui s'était passé car, à part le chauffeur, il n'y avait personne dans les parages. Ce n'est que plus tard que j'ai appris qu'un Messerschmitt avait mitraillé la Jeep et tué le Capitaine Rasson. J'avais effectivement entendu des bruits de moteurs d'avions dans la matinée. Je regrette aujourd'hui de ne pas avoir parlé avec le chauffeur.
A cette époque j'étais enfant de chœur, issu d'une famille très croyante, il m'est arrivé de prier pour le capitaine Rasson. Plus tard je travaillais à Saverne, à chaque fois que je passais devant la croix érigée en sa mémoire, j'avais une pensée pour ce pauvre homme. Aujourd'hui encore, quand j'y pense, j'ai de la peine pour lui car il n'avait vraiment pas eu de chance ce matin du 24 novembre 1944."
* Nous ne saurons probablement jamais - il n'y a hélas à ce jour plus d'autre témoin vivant - si effectivement Teddy Rasson avait pris le volant ou s'il s'était affaissé du côté du conducteur sous l'impact des tirs.
Carte Bernard LINDER © Bernard Linder
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RASSON, dit TREVOUX (Robert) Capitaine de l’Etat-major de la 2e D.B. Officier remarquable par son courage et son allant. A rendu les plus grands services en organisant et dirigeant au péril de sa vie un réseau de renseignements important en territoire occupé par l’ennemi. A participé aux opérations de Normandie, de la Région parisienne, de la Lorraine et des Vosges en qualité d’Officier de Sécurité militaire, circulant continuellement dans la zone de combats et exécutant ses missions dans des localités non encore délivrées de l’ennemi. MORT AU CHAMP D’HONNEUR sur la terre d’Alsace. Décret du 13 FEVRIER 1945 portant nomination au Grade de Chevalier dans l’Ordre national de la Légion d’honneur et Croix de guerre avec palme. Médaille de la Résistance française décernée au Cap. Edouard Rasson. Décret du 6 sept. 1945 (J.O. du 12) ____________________________________________
Les obsèques du Capitaine Rasson ont été célébrées à l’Eglise de Saverne, le 29 novembre 1944. Il a été enterré dans le cimetière de Mouvaux près de Tourcoing.
Les obsèques à Saverne © Bernard Linder
La stèle de la RD 421:
Nous ne savons pas qui a fait ériger en 1947, la stèle sur la RD 421. À ce jour, nous n'avons découvert aucun document attestant réellement quel organisme ou association, a financé cette croix en pierre taillée. Le Souvenir Français aurait pris cette croix à sa charge dans les années soixante, suite à des dégradations. C'est aussi le Souvenir Français qui a fait exécuter sa récente restauration, ainsi que l'aménagement de son nouvel emplacement.
L'inauguration du nouveau site a eu lieu le 8 septembre 2012.
linderbernard@orange.fr
Dernière édition par Jean PFLIEGER le Ven 28 Nov 2014 - 17:31, édité 1 fois | |
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