Voici donc la page 78 et le début de la 79 de "Calots rouges et croix de Lorraine de Paul Oddo et Paul Willing du RMSM
PARIS 21 - 26 Août 1944
La libération de Paris commença, pour les spahis, par la constitution d'un sous-groupement Morel Deville comprenant l'escadron de chars légers Martin-Siegfried et les pelotons d'automitrailleuses Serizier et Bergamin, du 4e escadron. C'était un ordre préparatoire, et les explications furent données par le colonel de Guillebbn, de l'E.M. de la division, à peu près dans les termes suivants:
« Paris risque d'être libéré par les Américains alors que la division est encore retenue en Narnamdie. Il faut que des Français soient présents. Notre rôle sera de nous renseigner, de voir ce qui se passe, puis de donner au Général des indications nécessaires à l'engagement de la division au cas où elle recevrait l'autorisation d'intervenir; dans le cas contraire, de rentrer dans Paris avec les troupes alliées pour que la libération de la capitale ne se passe pas sans troupes françaises ».
Ces instructions furent reçues avec enthousiasme. Jamais, même dans les moments d'exhaltation les plus optimistes, on n'avait osé espérer avoir Paris à libérer!
La remise en état du matériel fut menée rondement. Les effectifs avaient été recomplétés comme ils devaient souvent l'être durant toute la campagne, en recrutant sur place des garçons de bonne volonté qui avaient les qualifications nécessaires. Au volant de véhicules de récupération, guis comme aide-conducteur sur char au automitrailleuse, ils avaient été formés sur le tas par leurs camarades plus expérimentés: ils devaient bientôt raconter aux civils admiratifs qu'ils avaient fait le Tchad, Bir Hakeim, l'Italie et le débarquement de Normandie. Mais ils avaient du courage à revendre, c'est ce qu'on leur demandait.
Le 21 août, le sous-groupement auquel s'était ajouté la compagnie Perceval du III/ R.M.T., partait vers l'est aux ordres du colonel de Guillebon et faisait étape à Nogentle-Roi : la progression fut rapide car aucune troupe, ennemie ou alliée (heureusement) n'était en vue. Les civils, qui semblaient vaquer à leurs occupations des champs étaient à la fois surpris et ravis de voir des compatriotes dans ces colonnes de blindés.
Le 22, la division avait rèçu le feu vert. C'était donc la première partie de la mission qu'il fallait remplir, et ce fut sans doute une des plus belles missions de cavalerie de l'histoire: préparer l'engagement des forces qui devaient libérer Paris. Mais, en présence de renseignements confus concernant la situation des forces allemandes autour de Paris, il était nécessaire d'aller voir de près de quoi il retournait.
De Rambouillet à Arpajon, les spahis, appuyés par une poignée de fantassins du Tchad allaient donc entrer en contact avec l'ennemi. `
Peu avant Trappes, à l'Agiot, les automitrailleuses de Bergamin se heurtèrent à des chars: quinze furent dénombrés, l'obusier du peloton fut touché et trois hommes d'équipage tués: Rondeau, Runk et Jardin.
Montigny le Bretonneux, Voisins le Bretanneux, Châteaufort marquaient la limite à partir de laquelle la progression ne pouvait se poursuivre sans une attaque en force. Par contre, vers Arpajon, n'avaient été rencontrés que des tireurs isolés qui avaient tout de même montré leur efficacité en abattant le brigadier Piquet, du 4eme escadron.
Dès lors, le Général était renseigné et allait pouvoir prendre sa décision: le 24 serait prononcée l'attaque principale par la route venant d'Orléans, étayée par une action analogue par l'axe Chevreuse-Clamart-Sèvres. La première serait menée par le G.T.V. éclairé, rappelons le, par le 3eme escadron. La deuxième allait être confiée au G.T.L., avec lui, toujours le 2e escadron, commandé alors par le lieutenant Paucat. Le G.T.D., avec le 5e escadron, devait être engagé dans le sillage du G.T.V.
A Morel Deville, bientôt rejoint par le reste du Régiment, revenait la. mission de couvrir la gauche de la division en faisant le maximum de volume pour fixer l'attention des concentrations blindées signalées à l'ouest de Paris.
Le 24, avec des moyens réduits, allaient être poussées des reconnaissances en force sur les axes:
- Voisin-Guyancourt-Versailles
- Montigny-Trappes-St Cyr l'École-Versailles.
Les deux détachements étaient commandés par Martin-Siegfried et Oddo qui, comme St. Cyriens, avaient arpenté à pied et à cheval ces terrains d'exercice contre toutes sortes d'hypothétiques ennemis. Ils purent pénétrer dans Voisins et Montigny-le-Bretonneux, le Manet et même Trappes, mais, presque sans infanterie d'accompagnement, leurs blindés légers ne purent aller plus loin.
La journée du 25 août se passa comme dans un rêve. Sans transition, l'on passait du combat à la fête. Jusqu'à Versailles, les barricades ennemies avaient été abandonnées, mais la progression restait celle d'une troupe d'attaque. A Versailles, la foule en liesse était si compacte que Morel Deville dut faire ouvrir les grilles du Château pour donner tranquillement ses ordres.
La route de St-Cloud par la côte de Picardie et Ville d'Avray était vide d'Allemands, d'habitants et de résistants, et le pont de St-Cloud fut atteint sans incidents ni délais. L'avenue de la Reine, conduisant à la Porte de St-Cloud, était obstruée par quelques barricades gardées par des civils qui les ouvraient obligeamment. La couleur des calots invitait parfois certains poings à se lever, mais ils s'ouvraient rapidement en un salut plus fraternel.
A la porte de St-Cloud, la confusion était extrême. La foule hurlant sa joie envahissait tout: chaussée, trottoirs, refuges; les unités étaient mélangées, Shermans, half-tracks, jeeps étaient complètement recouverts de civils et les hommes d'équipages de rouge à lèvres. Des drapeaux tricolores flottaient partout. Mais la guerre n'en était pas finie pour autant; des obusiers tiraient vers le nord, des postes radio grésillaient et les chefs arrivaient à donner des ordres.
C'est ainsi qu'à partir de là, le peloton Serizier fut envoyé réduire une position ennemie à Neuilly. Aidé de deux T.D., il en venait à bout après une demi-journée de combat, détruisant plusieurs véhicules dont une A.M. et un « Ferdinand » (char fortement blindé et armé d'un canon de 88).
Martin-Siegried était engagé contre un ennemi occupant l'île de Billancourt, mais, faute d'infanterie ne pouvait franchir le pont défendu par une barricade. Savelli, renforcé du peloton Oddo, s'installait en bouchon face aux blindés signalés à Chatou et vers le Mont Valérien.