(suite à un article paru dans "la Gazette", hebdo de la Manche, l'Ille et Vilaine et la Mayenne)
LA BELLE HISTOIRE DE FRANÇOIS MUTSCHLER
ENRÔLÉ DE FORCE DANS L’ARMÉE ALLEMANDE
C’est un témoignage entre tous émouvant que celui que nous apporte le cas du vaillant François Mutschler, né le 8 décembre 1922 à Delle (Territoire de Belfort), de parents alsaciens.
Enrôlé de force dans l’armée allemande en 1943, alors qu’il travaillait comme ouvrier boulanger à Brunstatt, aux environs de Mulhouse, Mutschler, envoyé en occupation en France, dans la région d’Avranches, réussit, avant d’échapper à ses maîtres et de rejoindre les rangs de l’armée française, à sauver, par sa présence d’esprit, la vie de treize otages menacés de mort par les “représailles” teutonnes, en ce village normand de Pontaubault qui faillit être un autre Oradour...
Septembre 1943... Requis par la Wehrmacht devant son fournil de Brunstatt, le jeune François Mutschler endosse avec un soupir l’uniforme feldgrau. Il fait ses classes à Stuttgart. Il apprend, comme les autres, à marcher au pas de l’oie. Et c’est au pas de l’oie qu’envoyé parmi les renforts des troupes d’occupation en France, il défile dans les rues d’Avranches.
Si surveillé qu’il soit par ses chefs, méfiants, du feldwebel à l’oberleutnant, le fils du vieux tonnelier mulhousien a vite fait de se faire reconnaître de ses compatriotes français. Le soir venu, après l’exercice ou la parade, avec toutes les précautions et les ruses que d’autres déploient pour protéger le secret de leurs rendez-vous d’amour, François se rend dans une vieille ferme normande où l’on recueille le quotidien message de Radio-Londres.
3 février 1944 : à la suite de trois déraillements provoqués, parmi les trains de troupes et de munitions allemands, par la Résistance avranchinaise, à proximité du pont de la Sélune, les autorités d’occupation décident d’exercer des représailles contre la population de Pontaubault, village le plus proche du lieu des sabotages. La population, est-il spécifié, sera — comme à Oradour — rassemblée à l’église, au complet. S’il y a des absents, ceux-là, par leur éloignement même, à quelques heures des attentats terroristes enregistrés, se seront désignés comme suspects. On les arrêtera comme otages dès leur retour. Et le reste de la population, au besoin, répondra pour eux.
Or, il y a treize manquants. Treize otages promis à la colère des ogres, si leur absence provisoire n’est pas dissimulée. Parmi ces absents se trouvent une jeune mère sur le point d’accoucher et un vieillard paralysé, qui n’a pu gagner l’église. Le “gefreite” Mutschler, qui fait fonction d’interprète, n’hésite pas : il escamote les noms des absents, bredouille en lisant la liste des habitants village. Il avertit ceux-ci :
- Ne répondez pas si je parle vite. Avancez-vous et présenter vos papiers quand je lirai posément.
Les treize noms de réfractaires ou d’absents sont ainsi escamotés. Tout le monde, semble-t’il, a présenté à François sa carte d’identité.
- Manque personne, Herr Oberleutnant !
- C’est heureux ! Si un seuil manquait, je prendrais des otages. Bref ! faite rentrer ces gens chez eux, et qu’ils marchent droit : le maire et le curé m’en répondent !
Les sentinelles qui gardaient les issues, mitraillettes à la hanche, sont levées ; les bonnes gens de Pontaubault, maire et curé en tête, se répandent avec un soupir dans les rues du village et regagnent leurs demeures. Un malheur vient d’être évité.
Quelques jours plus tard, à la faveur d’un déplacement, François Mutschler réussit enfin à déserter l’armée allemande et à rejoindre les Français. Le voici chauffeur-interprète au 2ème bureau d’une unité avec laquelle il participe à la prise de Paris. Blessé à la tête, décoré de la Croix de Guerre, il rejoint la 2ème D.B. à Baccarat, participe à la marche triomphale des troupes françaises, de Strasbourg au nid d’aigle de Berchtesgaden.
C’est à ce moment qu’il est amené à saisir des affaires personnelles d’Hitler et à ramener jusqu’à Munich la célèbre voiture blindée du Führer.
Brigadier-chef à l’armistice, il part pour l‘Indochine avec le corps expéditionnaire français ; chauffeur du colonel Repiton-Préneuf, chef de liaison franco-vietnamienne, il a maintes fois l’honneur de conduire le Général Leclerc, pour qui il a une sorte de culte.
Et puis, c’est le retour en France, la rentrée dans le civil, les peines et les joies alternées de la vie de famille et du métier. Il divorce et se remarie avec une douce et charmante fille de son village, et avec elle, au seuil d’une nouvelle vie, il retourne en pèlerinage, vers cette Normandie qu’il n’a pas oubliée et où quelques braves gens n’ont pas oublié qu’ils lui doivent sans doute la vie.
Un simple échange de lettres entre l’ancien “gefreite-interprète” qui escamotait si prestement naguère la lecture des noms des réfractaires menacés de mort, et l’ancien maire de Pontaubault, donne tout son accent à cet épilogue de l’histoire :
Voici ce que, en fin 45, François Mutschler écrivait au maire de Pontaubault :
La personne qui vous écrit ces quelques lignes, vous l’avez déjà vue et vous devez vous en souvenir ainsi que tout le village.
Vous rappelez-vous du temps des Allemands, la nuit où vous étiez obligés de vous rassembler à l’église. Vous souvenez-vous du soldat allemand qui faisait l’interprète, mais qui avait le coeur français, celui qui a fait son possible pour que la dame qui devait accoucher puisse rester chez elle, et que le vieillard paralysé puisse rester au lit, qui a sauté les noms des habitants qui manquaient, de peur que l’on ne prenne des otages comme c’était prévu par les chefs allemands et qui a sauvé plusieurs vies humaines, celles de gens qui auraient dû être fusillés, sous prétexte que les saboteurs venaient de votre village, à cause de la dame qui avait fui à travers les champs ?
Et bien ! cet interprète, c’est celui qui vous écrit, et qui est fière d’être depuis quinze mois dans la division Leclerc, ayant déserté l’armée allemande.
Ce que j’ai fait dans votre village était normal ; puisque j’étais enrôlé de force dans la Wehrmacht, j’ai fait mon possible pour la France, tant que j’ai pu, car, sous l’uniforme vert, mon coeur battait le bleu, le blanc et le rouge...
A quoi l’ancien édile du village répondit :
Pontaubault, le 25 septembre 1945,
Monsieur,
Ayant pris connaissance à la mairie de la lettre que vous avez envoyé à Monsieur le Maire de Pontaubault, je tiens à vous remercier, en mon nom personnel, de ce que vous avez fait pour nous, et je suis heureux de pouvoir m’adresser à un bon Français. Comme vous, j’ai été victime des Allemands, ou des collaborateurs...
... Je me rappelle très bien de vous et encore une fois je vous dits merci pour nous avoir évité les brimades des Allemands.
Croyez à notre reconnaissance et accepter mes meilleures salutations.
JOSEPH BLIER, cultivateur,
Ancien Maire de Pontaubault.
Accents simples, parfois presque naïfs et d’une dignité tranquille qui confirme pourtant à la grandeur.
Histoire de gens braves, histoire de braves gens...
Armand LE NOAN.
(source : http://pontaubault.fr/La-belle-histoire-de-Francois#.XUGLT5MzbOQ)