Ouest-France. http://www.ouest-france.fr/normandie/alencon-61000/alencon-lucien-chevalier-confie-ses-souvenirs-de-la-liberation-4413467
En 1944, il vivait 84 bis, rue de Mamers, devenue depuis l’avenue Rhin-et-Danube. Pour ne pas oublier ce qui s’est passé ce 12 août, il a couché ses souvenirs sur papier. Pour ses enfants et petits-enfants.
Témoignage
« Le 11 août, vers 18 h, j’accompagne Louis Simon à Saint-Paterne, où nous allons chercher le lait dans une ferme. Près du passage à niveau, soudain, un sifflement. Louis Simon qui a fait la guerre de 1940 dans les chars reconnaît le bruit des obus qui passent sur nos têtes. Il m’entraîne dans le fossé alors que des Allemands à quelques mètres de nous disparaissent dans la tourelle de leurs tanks.
La présence de ce char nous fait voir que nous sommes à notre tour sur la ligne de front. En discutant plus tard avec un soldat libérateur, nous apprenons que ces tirs avaient pour but de tester la présence de l’ennemi, lequel en la circonstance était resté discret. Nous continuons notre route et au retour, à peu près au même endroit, siffle de nouveau une rafale d’obus.
Nous pensons l’arrivée des Américains imminente et nous espérons en regagnant notre abri pour passer la nuit, que les chars allemands ne défendront pas le carrefour (N.D.L.R. : au croisement de la rue de Mamers et de la rue des Tisons). Gilberte Prout, la fille de Raphaël, révise ses leçons d’anglais apprises avant la guerre.
« Mon père joue la Marseillaise au tuba »
Le 12 août, dès l’aube, nous sommes dehors. Des voitures blindées légères sont passées sans s’arrêter, suivies de quelques chars. Des véhicules s’arrêtent dans le carrefour. Gilberte risque quelques mots d’anglais : « Ne vous fatiguez pas à parler anglais, nous sommes Français ». Étonnement, émotion, joie, embrassades. C’est en effet la 2e DB du général Leclerc qui nous libère et nous sommes la première ville française libérée par une armée française.
À 7 h, mon père joue la Marseillaise au tuba : la première qui retentit depuis quatre longues années.Son message est reçu dans la plaine à plusieurs centaines de mètres de là. Un petit avion passe lentement, volant à très basse altitude. Il arbore une couleur orangée très visible. Explication d’un soldat : « c’est le mouchard. Il est chargé de nous renseigner sur la présence de l’ennemi en volant juste devant nous. »
Les chars allemands qui combattaient Leclerc depuis plusieurs jours à Fyé, Ancinnes, Bourg-le-Roi, se sentant pris en tenaille, entre la 2e DB venant du Mans et l’armée américaine venant d’Argentan, n’ont pas défendu la ville et se sont repliés vers la forêt. Le combat de la 2e DB a continué dans la forêt d’Ecouves où elle a subi des pertes importantes, à la Croix de Médavy, notamment avant de faire la jonction avec l’armée américaine et de poursuivre sa progression vers Paris qu’elle contribua à libérer une dizaine de jours plus tard, le 25 août 1944.
« Mon plus beau cadeau d'anniversaire »
« Si à 8 h, Alençon n’avait pas été libérée, les bombardiers rasaient la ville », nous dit un soldat. Et à 8 h, nous avons vu passer les bombardiers, non sans une certaine appréhension.Devant la maison, en fin de matinée, des soldats arrivent à pied, conduisant une dizaine de prisonniers, les mains derrière la nuque.- « Qu’est-ce qu’on en fait, on les descend ? »- « Ah non, il fallait le faire avant, maintenant c’est trop tard ! », répond le gradé.Et de nous expliquer que les Allemands ne reconnaissent pas les troupes françaises comme une armée régulière mais seulement comme des francs-tireurs auxquels ils n’appliquent pas les lois de la guerre.
Deux ou trois minutes plus tard, des avions allemands bombardèrent la rue de Bretagne, près des Promenades où stationnaient des troupes à l’abri des arbres. La DCA américaine riposte énergiquement et illumine le ciel avec des balles traçantes. Encore des maisons détruites mais cette fois, ce sont les dernières.
Le 13 août 1944 était notre première journée libre et je ne pouvais rêver plus beau cadeau pour mon treizième anniversaire. »