Spahi Roger MARION (3/3/1er RMSM)
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Nous traversons BIRKENWALD sans nous y arrêter.
À DIMBSTHAL et SALENTHAL, l'accueil de la population est encore plus chaleureux que ce qu nous avons trouvé jusqu'ici. Il est vrai que l'Alsace n'était pas seulement occupée, mais annexée, et cela depuis plus de quatre ans!
Vin blanc et schnaps coulent généreusement.
Il nous faut continuer, car la nuit ne va plus tarder.
Vers 17 heures, nous atteignons les premières maisons de SINGRIST. Pressés de couper la Nationale entre SAVERNE et STRASBOURG, nous refusons vin blanc et autres liquides (qui ne nous ont pas manqué cet après-midi): "Ya-t-il des Allemands par ici? — Pas beaucoup: ils sont plus loin sur la grand' route, dans le village." Au bout de cette petite route, c'est la Nationale: à 30 km, c'est STRASBOURG!
...
24 ans plus tard, en novembre 1968, au cours d'un arrêt casse-croûte au café-épicerie LUX, à l'entrée de SINGRIST quand on vient de MARMOUTIER, j'apprends que les Allemands étaient revenus peu après notre départ.
Découvrant leurs deux tués et leurs blessés, ils ont vite compris que ce n'était pas le fait de la population. Il manquait aussi les prisonniers que nous avions emmenés.
On peut imaginer la surprise des Allemands qui nous croyaient encore de l'autre côté des Vosges.
Ils n'insistent pas à SINGRIST et laissent la place à des éléments du G.T.V., dont parle Madame MASSU, ce qui n'empêche pas d'autres Allemands de se faire piéger.
Mais, en même temps, j'apprends qu'une jeune fille du village s'était trouvée dans l'axe de ma mitraillette (j'avais été le seul à utiliser cette arme).
À la lettre que je lui avais alors adressée, voici sa réponse du 3 décembre 1968:
«Je vous remercie de votre gentille lettre qui m'a très émue, car je l'ai eue le 21 novembre, anniversaire de la libération de notre village.
Je n'ai pas été trop surprise puisque Madame LUX m'avait déjà renseignée sur votre intention de m'écrire. Votre lettre a été comme un rappel du passé, comme un film ces jours angoissants sont passés devant mes yeux.
Le soir de ce 21 novembre 1944, je sortais de l'épicerie LUX où j'avais encore fait quelques emplettes, vers 17 heures.
Je m'attardais avec quelques jeunes à discuter de la libération prochaine, car un disait que les Français n'étaient plus qu'à quelque kilomètres.
À peine avions-nous commencé à causer que déjà l'un de nous criait:
"Les voilà!" et déjà la fusillade commençait.
Nous, adolescents de 15 et 16 ans, inconscients du danger, restions imprudemment plantés sur le bord de la route.
Quand le cheval avec le chariot arrive sur nous, nous nous mîmes à courir et c'est alors qu'une balle perdue entra dans mon genou directement entre l'articulation du fémur avec le tibia. Le lendemain, une ambulance m'emmena à l'hôpital du camp américain de VINCEY près de CHARMES dans les Vosges.
C'est là que je fus opérée et après 8 jours, on me transporta à l'hôpital civil d'ÉPINAL, d'où mes parents après 9 semaines me ramenèrent à SINGRIST.
Deux années durant, je dus encore me faire soigner par un médecin. C'est à peu près mon histoire de guerre.
Je n'aurais jamais cru que j'allais, après tant d'années, faire la connaissance d'un des premiers libérateurs de SINGRIST.
Je me ferai un plaisir de vous accueillir dans ma famille.
Veuillez… »
Lina ZAHNBRECHER, née HALFTERMAYER