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Sujet: Groupement de marche en Indochine Mar 22 Mar 2016 - 20:13
Tout petit nouveau, je découvre petit à petit ce forum. Mon père, Jacques de Vautibault s'est engagé dans l'armée d'armistice en Octobre 42..avant d'etre démobilisé un mois plus tard du fait du franchissement de la ligne de démarcation par les Allemands. Diverses tribulations , direction St Germain en Laye en Octobre 44, avec signature d'engagement "pour la durée de la guerre le 11/12/44 , rejoint le GR (groupement de Renfort)puis le RMT et départ vers l'Alsace.Divers allers et retours de part et d'autre de la frontiére, pas beaucoup de détail dans son journal de guerre. Pas de relation de combat. En 45, il est volontaire pour le Japon, mais la bombe "aidant" , le CEFEO bifurque vers l'Indochine.Rejoint le groupement de marche du 4° RMT 14° Compagnie Embarque sur le "La ville de Strasbourg" le 10/09/45 et bourlingue pendant 1 an,comme radio à bord d'un HT de commandement nommé (officieusement peut etre?) "Paris-Saïgon" . retour en France en Octobre 46. J'ai peu de photos, un certain nombre de documents administratifs, mais surtout j'ai retranscrit son "journal" qui a l'origine etait sur du papier pelure, ecrit souvent en recto-verso..et au crayon de papier! Gros travail extremement plaisant , mais avec toujours le regret de ne pas avoir posé suffisamennt de questions!
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jean-yann Langue pendue
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Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Mar 22 Mar 2016 - 20:15
bienvenue, et impatient de lire ce journal par épisode comme ça se pratique ici
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Eric de Vautibault Langue pendue
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Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Mar 22 Mar 2016 - 20:41
Merci , j'en suis ravi. Je voulais commencer par une photo mais le lien de l'hebergeur ne s'ouvre pas. A défaut j'ouvre le feu avec le journal!
....Et le lendemain, 15 octobre, me voilà parti pour Saint-Germain-en-Laye où j’ai appris qu’ils demandaient des volontaires dans la 2ème D.B. pour combler les pertes que la Division avait subie en Alsace après la prise de Strasbourg.
Je m’engage le 11 décembre 1944. Il fait à cette saison un très grand froid (-25°), beaucoup de neige et tout pour être heureux ! En plus, je me laisse pousser la barbe ce qui me fait ressembler à mon capitaine et engendre quelques méprises…dont je profite ! jusqu’au moment où je reçois l’ordre de me la couper et comme je refuse…le résultat ne se fait pas attendre et j’écope de 8 jours de prison. Nous sommes plusieurs à être en tôle pour des raisons diverses, il y a bien une porte fermée à clé en plus de la garde armée mais il n’y a pas de vitre aux fenêtres et par ce froid ! nous avons pris des couvertures qui nous permettent d’affronter la rigueur du temps. Dans la journée, je suis chargé de couper du bois pour le poêle du commandant. 25 février,(2° RMT-8° Compagnie) c’est le jour où nous avons la grande joie de partir pour le front en Alsace, nous arrivons après la bagarre pour combler les trous. L’hiver est rude et la neige épaisse. C’est au tour des combattants de prendre un peu de repos et la Division descend sur La Charité sur Loire. C’est à nous qu’incombent toutes les corvées jusqu’au mois de mars 1945. Pendant ce temps, la guerre continue, les Russes avancent vers Berlin du coté est et les alliés s’approchent de la fin. On sent l’hallali !!! A la fin du mois d’avril, le 24, il est temps de reprendre la route vers l’Allemagne et nous voici au plus près, en Autriche, Bertchesgaden, le Nid d’aigle d’Hitler n’est pas loin mais ce n’est pas nous qui avons l’honneur de l’attaque ce jour là, nous arrivons le 8 mai où tout est terminé.
LA GUERRE EST FINIE
La guerre est finie et, après m’être engagé deux fois, je suis passé au travers des évènements sans combattre vraiment et sans avoir subi un seul bombardement comme à Brest, Lorient ou Orléans où ma famille a eu si peur.
8 mai 1945 : Capitulation de l’Allemagne, ce jour là dans notre village autrichien les radios nous annoncent que la Guerre est finie. C’est bête, pour nous qui sommes aux premières loges, quelques coups de feu en l’air dans la soirée, un peu partout. Nous vidons nos chargeurs de fusils ainsi que les caves de nos hôtes autrichiens.
Seuls dans notre campagne, nous ne pouvons pas faire grand chose et nous pensons à tous ces parisiens qui doivent défiler sur les Champs Elysées noirs de monde après ces quatre années de guerre et d’occupation, suivi d’une fête à tout casser et nous, un peu les acteurs des ces évènements, nous sommes là bien sages à attendre la suite de cette Histoire que nous sommes en train d’écrire.
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Eric de Vautibault Langue pendue
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Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Mar 22 Mar 2016 - 20:43
18 mai 1945 ( 10 jours après la fin des combats) : Le Général de GAULLE doit nous passer en revue. Nous démarrons à 4heures du matin pour Landsberg et Klosterbenfeld, toute la 2ème D.B. est massée sur l’aérodrome au nord de la ville où de nombreux dorniers gisent au sol plus ou moins détruits. Pendant que nous nous mettons en place, un de nos engins brûle sur le coté nord. Au fond, les hauts-parleurs hurlent les ordres du Général de LANGLADE qui doit présenter la 2ème D.B. au Général LECLERC, qui doit arriver avec de GAULLE. Ils sont accompagnés d’un général américain et d’un important cortège d’officiels. La musique de la 2ème D.B. joue la Marseillaise, suivie de l’hymne américain. Ensuite, le Général passe en revue les troupes suivi de la remise des décorations. Le Général de GAULLE remet au Général LECLERC de HAUTECLOQUE les insignes de la Grande Croix de la Légion d’Honneur. Le Général de GAULLE appelle à lui tous les officiers puis il s’adresse à tous ici rassemblés dans un langage simple et puissant où chaque mot a une grande valeur. Puis cela va être enfin le défilé. Le cortège officiel se rend sur une tribune qui a été dressée au milieu du terrain entre deux gros avions de l’armée allemande qui ont l’air lamentable, ce qui rehausse un peu le symbole de la victoire. Nos moteurs tournent dans un vrombissement d’enfer, les spahis ouvrent la marche avec leur matériel de reconnaissance, précédé du char du Général de LANGLADE. Nous défilons sur un front de 6 véhicules blindés et c’est une véritable masse qui passe à toute allure dans la joie de la Victoire finale, se dirigeant vers le fond du terrain en passant devant leurs Chefs.
« Au moment où il semble que tout est fini, il reste encore beaucoup à faire pour reconstruire la France et lui donner une armée puissante après ces quelques années de guerre et d’occupation et de privation, pour redonner à la France toute sa puissance. Vous avez vaincu l’ennemi sur tous les fronts avec votre Chef le Général LECLERC qui est un chef illustre, votre dernière victoire vous l’avez porté au cœur même de l’Allemagne, jusqu’au nid d’aigle de HITLER. Je sais que je peux compter sur vous et vos officiers pour le présent et pour l’avenir dans les jours faciles et dans les moments difficiles qui nous attendent. Je serai toujours avec vous et vous serez dans mes pensées et dans mon cœur. Le serment de Kouffra a été tenu. Vive l’Armée et Vive la France. » Général de GAULLE
26 mai 1945 : Nous quittons l’Autriche, puis retour en France.
18 juin 1945 (date anniversaire de l’Appel du Général de GAULLE) : C’est le grand défilé de la Victoire à Paris. A 4heures du matin, nous sommes Avenue de la Grande Armée et nous nous préparons pour le défilé. Quelle joie pour nous et quelle fierté pour tous, je suis un peu confus, j’ai tellement peu participé à cette curée, mais, comme le disait Courbertin : « il faut être là au bon moment pour participer ».
Après le 18 juin, nous établissons nos quartiers à Malesherbes (dans le Loiret) et nous sommes là en prévision de troubles sur Paris. Le Parti communiste est, à cette époque, très puissant en France. Là, nous procédons à l’échange des nouveaux billets de la Banque de France et moi je suis envoyé à Coulommiers.
De là, il nous est demandé des Volontaires pour l’Extrême-Orient, la guerre n’est pas finie, les Japonais sont toujours en activité. Alors « sus » aux Japonais ! Et nous voilà faisant parti du Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient.
Mais le 15 août 1945, les Américains envoient une bombe atomique sur Hirochima et Nagasaki, les Japonais capitulent en présence du Général LECLERC. Pour la France, la guerre est vraiment terminée cette fois et nous sommes embarqués pour l’INDOCHINE FRANCAISE toujours occupée par les troupes japonaises qui font la police en attendant d’être démobilisés.
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jean-yann Langue pendue
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Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Mar 22 Mar 2016 - 21:35
pour la photo il y a un délai après l'inscription, sauf à l'envoyer en MP à un "ancien" qui la publiera
LGD-501 Langue pendue
Nombre de messages : 2158 Localisation : Région Parisienne Date d'inscription : 03/12/2014
Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Mer 23 Mar 2016 - 18:01
Bonjour,
Voilà un journal de bord qui promet de bons moments de lecture en dépit de quelques petites erreurs bien pardonnables. Son rédacteur n'avait en sa possession ni les stations ou chaînes d'info continue, ni de connexion Internet, ni G... Maps, ni les ouvrages et archives publiés depuis. C'est le témoignage d'un ancien au jour le jour avec ses imperfections et ses pépites. Tout ce qu'on aime !
Cordialement
LGD-501
Eric de Vautibault Langue pendue
Nombre de messages : 124 Localisation : Tours Date d'inscription : 21/03/2016
Sujet: Direction l'Indochine! Mer 23 Mar 2016 - 18:19
Après les campagne de France et d’Allemagne
Volontaire pour le Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient. Muté le 31 août 1945 à la 14° Compagnie du 4ème Bataillon de Marche de la 2ème Division Blindée (2ème D.B.)
29 août 1945 : Direction Marseille !!
(Copie de mon journal de bord)
10 septembre 1945 à Marseille : Le voilà ! ce jour si longtemps attendu, ce jour est pour moi le seuil d’une nouvelle vie. Le temps est beau. De bonne heure, nous préparons nos paquetages dans l’impatience et la fébrilité du départ. 10heures sonnent, nous sommes installés auprès des camions et se sont les adieux à ceux qui restent. En chantant des chants de marche de la 2ème D.B. Un remorqueur vient chercher notre navire “La Ville de Strasbourg” (ancien navire bananier). A 11 heures, nous embarquons et nous nous installons, tant bien que mal, à travers les coursives et dans les cales qui ont été aménagées pour faire du transport de troupes. Rassemblement, appels, distribution de chocolat, pruneaux et jeux. Déjà les premiers éléments sont à bord, des moments pendant lesquels mille réflexions passent dans ma tête. Je pense à ma famille et à tous ceux qui restent, je souris intérieurement devant la beauté de notre expédition et un peu de cette aventure en Extrême-Orient. J’avance doucement dans les coursives sous le poids de mon paquetage et tout ça pour m’entendre dire qu’il y a une erreur et que je ne figure pas sur les listes d’embarquement !! Oh là là ! Je suis très inquiet ! discussions, sous le coup de l’émotion, je remonte péniblement sur le pont craignant de tomber à chaque marche. On me renvoie sur le pont arrière et on m’attribue le n°38, je dois redescendre en 2ème cale. Que d’hommes, quelle chaleur et quelle odeur ! tous les châlits sont déjà occupés et chacun essaye d’avoir la place la plus élevée, il y a trois étages et ceci dans la perspective du mal de mer ! Il est 17 heures, nous appareillons et au diner quelques camarades sont déjà bien malades, il paraît que ce sont les réactions de nos piqûres contre la fièvre jaune.
11 septembre 1945 : Nous sommes très serrés dans les cales du navire. A 9h30, après notre première nuit, un liberty-ship est en vue. A 19h, nous passons le détroit de Bonifacio. Avant d’aller nous coucher, exercice d’abandon du navire, course vers les canots de sauvetage, après tout rentre dans l’ordre pour se retrouver sur son lit, moi je suis au 3ème niveau avec de RANCOURT.
12 septembre 1945 : Ce matin, mer agitée. A 7h, nous croisons un navire qui rapatrie des prisonniers français. On sent leur bonheur de retrouver la Mère Patrie et leur famille qu’ils n’ont pas vu depuis si longtemps.
13 septembre 1945 : Par ¾ tribord nous apercevons le Stromboli, volcan qui crache ses flammes rouges tous les quarts d’heures et dans la nuit, c’est magnifique et très impressionnant. A 4h, nous passons le détroit de Messine. Conférence sur l’Indochine et la Cochinchine en particulier puisque c’est là que nous devons débarquer, ceux qui nous en parle n’en savent pas plus que nous sur la géographie et sur les évènements qui s’y passent.
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Eric de Vautibault Langue pendue
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Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Mer 23 Mar 2016 - 18:20
15 septembre 1945 : Rien à signaler sur la mer, nous sommes seuls au milieu des flots à contempler les poissons volants, l’équipage nous dresse des toiles pour nous protéger du soleil et de la chaleur, nous attendons l’arrivée à Port-Saïd. Nous voilà en vue du continent africain.
16 septembre 1945 : Port-Saïd, c’est notre premier contact avec le continent africain. Mer agitée, nombreux malades. Avant d’arriver, j’écris à Maman, Grand-Mère de FOLLIN, Marie-Jo, et Serge, il faut dire qu’à bord nous ne sommes pas bien installés mais nous avons tout le loisir pour faire notre courrier et l’expédier à l’escale. A 19h, nous apercevons les phares de la côte, que c’est beau cette arrivée et toutes ces lumières qui se reflètent dans la mer ! Enfin, nous accostons et nous assistons immédiatement à l’arrivée des forçats égyptiens pour le ravitaillement du navire, ravitaillement en charbon et en vivres, ils peinent sous poids mais cela se fait en chantant, le rythme les aide au travail.
17 et 18 septembre 1945 : On nous donne des permissions, je vais en ville découvrir l’Afrique et me dégourdir un peu les jambes. C’est une ville avec des avenues très longues, des parterres tirés au cordeau, on sent l’influence anglaise. Les rues sont encombrées de marchands qui nous assaillent et souvent nous volent. Pendant ce temps, les indigènes chargent le navire, tout se fait à dos d’homme et en chantant. Ils sont environ 400 bonshommes qui sont là comme des fourmis qui vont et viennent, charbon chargé dans des paniers d’osier, mal habillés (presque nus) ils ont tous une plaque au poignet, on dirait que ce sont des bagnards qui semblent danser sur ces planches étroites pour arriver au bateau. En ville, tous les magasins ont leurs inscriptions en lettres arabes ou en français, très peu en anglais. On y trouve de tout et lorsqu’on arrive de France après toutes ces années de privation, on se croirait au Pays de Cocagne. Je n’ai pas un sous, je vais visiter le quartier musulman, je croise plein de femmes voilées, elles font leurs courses pendant que leurs hommes fument le narguilé ou jouent aux dominos, aux cartes ou au jacquet devant les échoppes ou sur les trottoirs. Les égyptiens continuent à charger le navire. En ville, on trouve de tout, alors qu’en France il n y a plus rien, on voudrait pouvoir tout acheter pour envoyer à nos familles. Nous sommes suivis par une ribambelle de gosses qui essayent de nous vendre tout et n’importe quoi. Une livre égyptienne vaut 100piastres ou 200francs anciens.
19 septembre 1945 : Les français du Canal organisent un bal au Consulat en notre honneur, je regrette bien, encore une fois, de ne pas savoir danser ! La ville est sympathique, la police fait bien son service. A 19h, nous appareillons et toute la ville est là pour nous souhaiter bon voyage et bonne chance pour notre séjour en Indochine. Nous sommes le premier navire français qui passe depuis le début de la guerre en 1940 ! Puis c’est l’entrée dans le Canal de Suez où trône la statue de Ferdinand de LESSEPS, l’ingénieur qui perça le Canal. A bâbord, c’est le Désert d’Arabie avec ses dunes de sable où poussent quelques plantes grasses, à tribord, coté Egypte, c’est au contraire un espace de verdure avec la route et la ligne de chemin de fer qui longent le Canal. Par moment, on voit des anglais installés à pêcher à la ligne nonchalamment. Un peu plus loin, c’est un grand campement où se reposent des bédouins avec leurs chameaux. A 18h, nous voyons des Bonnes Sœurs qui nous acclament et nous crient leur joie de voir enfin un bateau français. Lorsque nous passons à Ismaïlia, on se croirait en Terre Promise au milieu de cet oasis dans le désert, cette verdure et ses palmiers nous en avons plein la vue. Le bateau stoppe et les enfants essayent de nous accoster à la nage. C’est à Ismaïlia que l’on voit ce grand monument élevé à la mémoire des “Poilus d’Orient” qui arrêtèrent les Allemands en 14/18 avec l’aide du navire “Le Requin”.
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Eric de Vautibault Langue pendue
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Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Mer 23 Mar 2016 - 18:22
20/21 et 22 septembre 1945 : Nous avons passé Suez lorsque je me réveille et nous abordons la Mer Rouge(qui n’est rouge que de nom), après avoir aperçu le Mont Sinaï. A bâbord et sous la chaleur tout est calme. Pour passer le temps, des officiers nous font des conférences sur l’Indochine. Sur la Mer Rouge, rien ne bouge, nous naviguons pour éviter de faire des remous et protéger les berges du Canal, alors, quelle chaleur. Nous sommes trempés de sueur, elle nous coule le long du corps. Nous n’avons qu’à contempler les poissons volants, les marsouins et à chercher les requins, les marins disent qu’il y en a. La température est de plus en plus insoutenable, on ne sait plus où se mettre pour avoir un peu de fraîcheur. Sur le pont, il n y a pas la moindre bise et sur la Mer Rouge l’allure du navire est très réduite. Quand on descend dans la cale c’est encore pire.
23 septembre 1945 : C’est aujourd’hui dimanche et comme il n’y a pas d’aumônier à bord c’est L’HEMEREY, un camarade de la Compagnie d’ Accompagnement, qui nous lit et commente l’Evangile et fait les prières, nous sommes sur le pont supérieur à l’ombre des canots de sauvetage. (Ce camarade sera tué aux combats de Hanoï en décembre 1946)
24 septembre 1945 : R.A.S. A cette allure là on n’est pas près d’arriver !!
25 et 26 septembre 1945 : Nous sommes dans le détroit de Bab-el-Mandeb, nuit calme et à 7h30 nous arrivons à Djibouti sous une chaleur d’enfer. Nous mouillons à l’entrée du port où deux avions “Piper” nous survolent en guise de salut. Les personnalités de la ville montent à bord, les pirogues, chargées à ras, amènent un peu de ravitaillement, des marchandises qui viennent d’Adis-Abéba. L’indigène qui les montre est un grand au visage sympathique. Certains viennent nous proposer des bananes, des éponges, toutes les richesses de cette corne de l’Afrique. A 10h, nous appareillons, la mer est calme et le soleil déjà haut et voilé. R.A.S. Il fait trop chaud, cela ne nous donne pas beaucoup de courage pour faire quelque chose.
27 et 28 septembre 1945 : La journée a été calme mais ce soir ça danse sérieusement. GODIN et quelques autres sont bien malades. Même temps qu’hier. C’est très drôle mais il faut se forcer à manger bien qu’il y ait du rab. Nous voyons des quantités de poissons volants. La mer s’est calmée en fin de journée.
29 septembre 1945 : Il s’abat, par moment, des averses torrentielles sur le pont, la bâche qui nous abrite du soleil a été déchirée cette nuit par la tempête et notre installation est toujours aussi rudimentaire, peu de camarades dorment dans la cale, moi j’y reste mais je suis trempé de sueur. Pour les repas, c’est toujours un véritable tour de force pour se faire servir et après, tout le monde mange comme il peut sur le pont et pour laisser circuler ceux qui sont de service ou qui vont à la cambuse, il faut crier à chaque instant : « attention, chaud, chaud ». La nourriture est toujours aussi défectueuse, la viande plus ou moins pourrie, le pain distribué au compte gouttes et le café servi avec 5 biscuits de plâtre. Le temps est long à bord, il est temps d’arriver, on sent que le moral n’est pas bon et que le voyage est trop long. Ce n’est pas une croisière que nous faisons, loin de là, nous étions partis pour une aventure.
Quelques parties de bridge, le rapport et des conférences quotidiennes du matin au soir, si fastidieuses soient-elles, elles ont l’avantage de nous occuper. Quelques unes sont intéressantes, comme celle de BESSE qui avec sa bonhomie habituelle, nous raconte ses études sur l’Extrême-Orient.
2 octobre 1945 : A 13h, navire à bâbord, depuis plusieurs jours (depuis notre départ de Djibouti) que nous n’avions rien vu, l’horizon était vide, chacun se précipite à la rambarde, c’est un événement.
3 octobre 1945 : Il fait vraiment chaud, on arrose les fûts d’essence qui sont en plein soleil sur le pont. Cette nuit j’ai essayé de dormir sur le pont à la belle étoile, c’est un véritable tour de force, presque une bataille pour arriver à trouver une place et ensuite j’ai un tel mal de reins que je redescend dormir dans la cale, avec 70° j’ai plus chaud mais je suis moins courbaturé.
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Eric de Vautibault Langue pendue
Nombre de messages : 124 Localisation : Tours Date d'inscription : 21/03/2016
Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Mer 23 Mar 2016 - 18:30
4 octobre 1945 : MASSU, notre Colonel nous adresse un message pour nous réveiller un peu : « Vous êtes tous des volontaires, vous appartenez au pays et à la Patrie, votre seule famille c’est l’Armée. Il s’agit de vaincre l’ennemi jusqu’à la limite de vos forces et abandonner toute pensée et activité étrangère à cette mission. Pour l’atteindre, il vous faut vous préparer et vous améliorer sans cesse. L’ennemi est coriace et rusé, plus vite vous serez préparés, plus vite il sera vaincu. Après cela, vous pourrez penser à vivre pour vous et avec les autres. A tous, je ne recommande pas le courage au combat vous l’avez ou vous l’aurez quand il faudra, j’en suis sûr, mais n’ayez pas peur et n’ayez qu’une idée, en dehors de la bagarre elle-même, préparez la prochaine bagarre ».
5 octobre 1945 : Il est 8heures, nous entrons dans le port de Colombo (au Sri-Lanka), les indigènes paraissent sympathiques, leur vêtement est réduit (un simple coupon d’étoffe autour de la taille et un bandeau sur la tête pour le soleil et la chaleur). Nous avons l’autorisation de débarquer avec quinze roupies et nous prenons une péniche de débarquement des anglais. Virée à terre, on y trouve de tout mais moins qu’à Port Saïd. En France, il n’y avait plus rien, il ne faut pas être trop difficile ! J’ai seulement vu une file d’attente, une « queue » dans un magasin de tissus contre des tickets en face du Consulat. Les voitures roulent à gauche et les pousses-pousses sont très propres et les charrettes tirées par des petites vachettes toutes basses et bossues. Quelques achats sans importance, d’ailleurs nous ne sommes pas très riches et n’avons que très peu de roupies à dépenser. Les corbeaux, les vaches couchées au milieu des rues (animaux sacrés de l’île) sont très nombreux. Personnes n’y fait attention, les voitures attendent ou font un détour pour ne pas les déranger. Ville moderne dans le quartier européen, les tramways nous emmènent dans les quartiers indigènes, le soir nous rentrons à bord et assistons au coucher du soleil que nous trouvons d’une rare beauté. Le “Suffren” vient d’accoster près de nous et c’est une belle unité qui est aujourd’hui dans le port de Colombo.
6 octobre 1945 : Rien à Signaler, nous restons à bord.
7 octobre 1945 : C’est dimanche et nous obtenons l’autorisation d’aller à la messe à terre. Nous nous y rendons par les mêmes moyens qu’avant hier et l’office a lieu dans une gentille petite église. Les indigènes sont très fervents, beaucoup plus que nous et on sent qu’ils ont une foi profonde. Ils sont accroupis par terre pour leurs prières. Après l’office, nous allons dépenser quelques roupies à l’hôtel de la Tour Carrée. Pour le déjeuner nous rentrons à bord, car nous devons appareiller vers 17heures.
Nous avons pu voir les hommes avec leurs grands chignons, certaines femmes sont très jolies avec leur sari, on m’a même proposé une petite fille toute mignonne pour 60 roupies.
8 octobre 1945 : La mer est moutonneuse, notre Lieutenant BERNE vient d’être nommé Capitaine. Cela s’arrose tout simplement sur ce bateau si peu confortable mais cela donne une occasion de dialoguer un peu.
9 octobre 1945 : La mer devient mauvaise. Le “Gloire” nous double avec sa cargaison de militaires et des ordres nous font mettre au garde à vous pour saluer le navire de guerre, c’est de tradition dans la Marine. On doit approcher tout doucement, puisque le Commandant nous donne quelques nouvelles de Saïgon où les Anglais on débarqué et on nous annonce qu’il y a de la bagarre en ville, ce qui nous émoustille un peu et nous avons hâte d’aller aider nos amis anglais. Nous arrivons mais encore combien de jours !
10 octobre 1945 : Cela fait maintenant un mois que nous avons quitté Marseille. Nous passons pour la piqûre contre la malaria et le choléra. Mon camarade LE MOUSSAI est très malade, il a des crises, on lui met une garde à sa porte. Le bateau est bien secoué, des paquets d’eau nous arrosent sur le pont ce qui nous amuse beaucoup. Le Commandant DRONNE nous distribue de la toile à profusion pour nous mettre à l’abri et remplacer les casques coloniaux que nous n’avons pas encore touché. L’armée française nous envoie en Indochine mais elle a bien peu de moyens. DRONNE nous rassemble au petit matin et nous traite de « cons comme un régiment de brèles » car l’un de nous, cette nuit, a retiré les feux de position arrière du navire ! Quelle inconscience !
11 octobre 1945 : LE MOUSSAI vient de mourir ce matin à 7heures, et dire que son frère a été tué l’an dernier à la même date en alsace. C’est le destin d’une famille. Dans l’après-midi, il est mis dans une caisse à claire voie avec 300 kilos aux pieds pour servir de leste. Sur le pont nous sommes tous réunis pour le dernier adieu, le bateau s’arrête, les clairons sonnent le garde-à-vous au moment de la prière lue par un camarade et une grue descend lentement le corps en même temps que la sirène du bateau siffle lugubrement, ce qui donne à la scène une atmosphère de recueillement. Enfin, avec un couteau, la corde à laquelle est suspendue le cercueil, est coupée et notre camarade disparaît pour toujours dans les profondeurs de l’océan. Les requins qui suivent le bateau y trouveront leur festin. Nous repartons, laissant là le premier mort de notre expédition. Nous sommes dans le détroit de Sumatra entre les îles de Java et de Bornéo et apercevons des jonques avec leurs voiles en papier et en forme d’éventail. A tribord, on passe près d’îles recouvertes d’une luxuriante végétation, nous sommes à 25 milles de l’équateur et il pleut très fréquemment, une pluie chaude et violente. La navigation commence à être plus importante dans les parages, nous avons vu cinq navires dans la journée.
12 octobre 1945 : Les avisos “La Gazelle” et “L’Anamite” nous doublent pendant que le Second nous joue l’air de la “Tonkiki, la Tonkinoise” pour nous accueillir, grâce à un pick-up.
13 octobre 1945 : Nous naviguons lentement à travers un chenal avec un dragueur de mines qui nous précède, au cas où il y aurait encore des mines laissées par les troupes japonaises. La guerre n’est pas si loin, il faut se méfier, la mer recommence à être de mauvaise humeur. Des trombes d’eau s’abattent sur le pont comme pour nous amuser avant que nous descendions pour la fin de notre voyage. Il y a des malades à bord.
14 octobre 1945 : Nous sommes dans le détroit de Malacca, quelques jonques à voiles en éventail. Arrivés à Singapour, le soleil est brûlant et nous jetons l’ancre à 17heures. Tout autour se ne sont que des îles verdoyantes entourées de fortifications des défenses côtières. On se demande comment les Japonais ont pu conquérir ce pays qui semble imprenable mais il faut savoir qu’ils ont attaqué par derrière et par la brousse. Les indigènes vendent de tout sur le port : chaussures, vêtements, pierres dites précieuses et éponges, tout cela contre des cigarettes américaines. Celles-ci semblent très appréciées et manquer sérieusement à Singapour.
15 octobre 1945 : Journée chaude. A 10heures, le “Suffren” entre en rade et, en fin d’après-midi, nous appareillons pour notre destination finale : Saïgon.
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Planchon Langue pendue
Nombre de messages : 5412 Age : 76 Localisation : Marcq,78770 Date d'inscription : 28/09/2013
Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Ven 25 Mar 2016 - 7:28
Eric de Vautibault a écrit:
18 mai 1945 ( 10 jours après la fin des combats) : Le Général de GAULLE doit nous passer en revue. Nous démarrons à 4heures du matin pour Landsberg et Klosterbenfeld, toute la 2ème D.B. est massée sur l’aérodrome au nord de la ville où de nombreux dorniers gisent au sol plus ou moins détruits.
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Sujet: groupement de marche Ven 25 Mar 2016 - 10:13
C'est avec émotion que j'ai parcouru les extraits du journal de marche concernant la traversée marseille saïgon l sur le ville de strasbourg sur lequel je me trouvaiis également. Tout y est relaté fidelement il n'y a rajouter.J'apporterai une senle précision .c'est Maurice LE MOUSSU qui est décèdé et immergé le 11 octobre 1945 j'étais présent au cour de cette émouvante cérémonie. cordialement Pierre
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Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Ven 25 Mar 2016 - 13:32
Bonjour Monsieur. Merci de votre reponse.j en suis ravi,et je l avoue tres touchė. En arrivant sur le Forum,j ai trouvé et lu votre journal,et ai passė ma soirée à le lire,avec tout autant d ėmotion. Il m a semblé d ailleurs y voir des noms communs. Je me permettrais sans doute de vous poser des questions et compte desormais sur vous pour eclairer ce journal.Meme si certains details seront a meme de sans doute choquer.mais c est aussi cela le devoir de memoire.la guerre n est pas propre et ce qui s appelle desormais "degat collateral"n est pas que statistique. respectueusement. eric de vautibault.
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Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Ven 25 Mar 2016 - 19:14
17 octobre 1945 : Les vents violents nous font tanguer, il y a quelques malades à bord. A tribord, nous passons l’île de Paulo-Condor qui fut longtemps un bagne pour l’Indochine et que les occupants japonais ont bien utilisé pour y entasser les prisonniers politiques.
18 octobre 1945 : Enfin, au petit matin, nous arrivons au Cap Saint Jacques où se trouve le cuirassier “le Richelieu”, la plus belle unité de la Marine française, un bateau de 35000 tonnes. Dans la baie nous voyons un ensemble de mâtures coulées et cela nous rappelle tous les navires sabordés dans le port de Toulon. Une vedette anglaise nous guide pour remonter lentement la Rivière de Saïgon. Au coucher du soleil, nous mouillons et le “Suffren” nous double. Nous sommes tous accoudés aux rambardes pour admirer le paysage. Tout est calme de chaque coté de la rivière, une étendue immense de palétuviers qui baignent leurs troncs dans une terre boueuse. De-ci, de là, dans les arroyos, des villages de pêcheurs qui ne semblent guère se soucier de notre présence. Plus loin, apparaît la rizière dans laquelle il nous faudra combattre. Nous mettons nos mitrailleuses en place pour assurer notre sécurité avant de descendre.
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Sujet: Saigon, nous voila! Ven 25 Mar 2016 - 19:17
19 octobre 1945 : A 7h, nous levons l’ancre, les indigènes sont déjà là depuis longtemps mais je crois qu’ils dorment sur place pour travailler dans les rizières et labourer avec des charrues préhistoriques tirées par des buffles qui ont de l’eau jusqu’au poitrail. A cette heure, il commence à faire chaud. A 10h, nous naviguons lentement. Enfin, nous apercevons la Cathédrale de Saïgon, les pylônes radio et quelques habitants sur les berges de la rivière en train de lancer leurs filets pour la pêche. A tribord, des bateaux coulés pendant la guerre par les Japonais. A midi, nous sommes à quai, c’est la fin de notre croisière de 49 jours. Une foule immense est là pour nous accueillir, depuis si longtemps qu’elle nous attendait. On aperçoit également beaucoup de troupes anglaises, ce sont des gourkas, les troupes des Indes et de Birmanie, des beaux hommes, ainsi que quelques Français du 2ème R.I.C. Elles sont arrivées quelques jours avant nous pour recevoir la capitulation des armées japonaises. Le port est interdit à la population. Nous, nous attendons avec impatience l’ordre de descendre. Arrivent les camions anglais d’où descendent des soldats indiens qui s’alignent pour prendre nos paquetages. Enfin, après le déjeuner à bord, nous mettons pied à terre sur la terre d’Indochine, le but de notre voyage depuis que les Japonais ont capitulé le 15 août à la suite du largage des bombes atomiques sur NAGASAKI et HIROCHIMA puisque à l’origine nous nous étions engagés pour la durée de la guerre dans le C.E.F.E.O (Corps Expéditionnaire Français d’Extrême-Orient). Nous discutons avec quelques personnes, des colons qui ont réussi à franchir les interdictions, pendant que des prisonniers japonais sont là pour vider le navire.
A 17h, c’est le rassemblement et nous voilà, traversant la ville de Saïgon, fièrement salués par une population bien peu nombreuse, l’accueil est froid, presque indifférent. Les colons semblent nous trouver trop jeunes pour pouvoir affronter tout ce qui nous attend. Un camarade ne peut plus mettre ses chaussures, depuis 49 jours que nous étions sur le bateau, il va lui falloir défiler nus pieds. Arrivés près de la Cathédrale, la pluie se met à tomber pour nous accueillir et de toute sa force, comme pour nous montrer ce qu’est une pluie sous les tropiques. Bien entendu, nous sommes trempés jusqu’aux os mais nous sommes heureux, la vie est belle puisque nous sommes enfin arrivés. On sent l’état de siège et, ici sous les tropiques, la nuit tombe très vite, plus un chat dans les rues, plus un indigène qui traîne à cause du couvre-feu. De temps en temps, nous voyons un fusil mitrailleur en batterie avec son servant un gourkas. On nous ordonne le silence et d’éteindre les cigarettes. Nous progressons en file indienne de chaque coté d’une route toute défoncée et avec des nids de poule remplis d’eau. Quelle force représentons-nous ? Nous sourions, car pas un seul d’entre nous n’a de munitions en cas d’attaque ! Nous faisons impression et cela suffit pour le moment pendant cette balade qui nous conduit à notre casernement dans l’ancien hôpital japonais à Cholon (faubourg de Saïgon et capitale du Jeu). C’est le camp Drouet, composé de baraquements en bois, reliés les uns aux autres par des passages couverts montés sur pilotis et entourés d’un couloir pour être à l’abri de l’humidité. Chaque baraque est réservée pour une Compagnie. Ce qui me frappe le plus, c’est le bruit que font les insectes nocturnes qui tout d’un coup se font entendre dès la tombée de la nuit, ils sont tellement forts et variés que je ne peux tous les distinguer. Mais quel bruit autour de nous, ces lézards au plafond et dehors le cri des crapauds buffles, finalement on se demande comment on peut entendre quelque chose ou quelqu’un marcher dans les herbes. Cela risque de nous réserver des surprise. Si à midi à bord, nous avons eu notre repas, ce soir, par contre, il n’y a rien de prévu à se mettre sous la dent. Il faut attendre le déchargement du service des intendances. Demain, on y verra plus clair. En plus il n’y a pas d’éclairage et les véhicules n’étant toujours pas descendus, il n’y a pas non plus d’essence pour pouvoir nous éclairer. Aussi, tant bien que mal, nous nous étendons par terre sans moustiquaire, ne sachant pas encore utiliser ce nouvel article colonial. Demain, peut-être, nous aurons des lits “picaud”, ce sera un peu plus confortable.
A partir de ce jour, la campagne d’Indochine est commencée.
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Eric de Vautibault Langue pendue
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Sujet: Premiers jours à Saigon. Ven 25 Mar 2016 - 19:20
20 octobre 1945 : Au réveil, nous nous installons à la faveur du jour, mais toujours rien, aucun ravitaillement. Avec rien dans le ventre depuis hier midi nous n’allons pas être en forme pour attaquer la journée. Enfin, nous recevons un viatique avec une boîte de corned-beef pour dix hommes et une banane pour deux ! C’est bien peu pour assouvir notre faim. Ce soir c’est pareil, rien pour nous, quelle organisation ! Ainsi, nous n’avons même pas pu fêter notre arrivée, rien à boire et rien à manger, nous qui étions si contents d’être arrivés. Enfin, le débarquement du matériel continue et nous pouvons nous ravitailler en essence. Le jour et la nuit, nous entendons le tir des fusils et des grenades un peu partout dans le quartier. Avec le chant des grillons, le bruit des sauterelles, le coassement des grenouilles et le cri des crapauds-buffles, nous n’arrivons pas facilement à nous endormir. Il faudra bien que l’on s’habitue. Malheur à qui se fait piquer par les moustiques, le paludisme fait des ravages dans les rangs !
21 octobre 1945 : Il a plu toute la journée, une patrouille a reçu une grenade dans Cholon, le Commandant nous recommande de ne pas faire des efforts inutiles sous ce climat tropical où le caractère devient vite irascible. Il nous invite à faire régulièrement la sieste dès que nous le pouvons.
22octobre 1945 : Le Général LECLERC vient nous voir en Père de famille, tout heureux de nous retrouver après ces 60 jours de mer. Il nous dit tout le travail qui nous attend et nous promet de l’habillement décent, du ravitaillement anglais et des munitions pour faire la guerre ou pour préparer la paix.
23 octobre 1945 : Pour commencer, ceux qui sont de corvée d’eau aux abords du camp ont déjà reçu une grenade, il y a trois blessés, quelques grenades ont été lancées sur des jeeps et n’éclatent pas toute, ce sont des boîtes de conserve avec de la poudre dedans. Les Viet-minh allument une mèche, mais il pleut tellement que la flamme s’éteint dans l’action et le projectile n’a aucun effet. Nous avons actuellement une grenade pour 4 hommes… c’est peu, mais on nous promet d’améliorer la situation !
24 octobre 1945 : Le Capitaine BERNE est arrivé hier avec une half-track et une jeep débarquées du “Béarn” avec LEMOINE. Ils sont heureux comme des rois de leur voyage effectué sous le régime anglais. Ils n’étaient pas entassés comme nous l’étions comme sur “La Ville de Strasbourg ” .
25 octobre 1945 : Cette nuit on entendait le tam-tam avec son air lugubre, pour nous qui arrivions, nous avions l’impression qu’une attaque se préparait. A cinq heures ce matin à la fraîcheur relative, nous démarrons avec les chars pour notre première opération. Cela commence à être sérieux.
26 octobre 1945 : L’attaque est dirigée sur Mytho, à l’ouest de Saïgon au sud du Delta, le long de la cote dans la rizière. Il doit y avoir un débarquement combiné avec un commando du croiseur “Richelieu”. A l’issue il y a peu de pertes, juste un adjudant de la CA. Hier soir il y a eu un engagement sur notre gauche.
27 octobre 1945 : Hier soir, les gourkas ont deux tués près de leur camp. C’est aujourd’hui qu’ils font leurs représailles, ils encerclent tout le quartier et y mettent le feu. Dans ces paillotes, le feu s’amuse et les troupes aussi. Les baraques grésillent, les bambous éclatent dans un bruit de pétards. C’est très impressionnant. Le quartier est enflammé impitoyablement par la troupe. Les indigènes qui habitent le coin évacuent avec quelques affaires sur le dos avec leur traditionnel balancier. Les militaires ont fusillé quelques types devant la population. La 15ème Compagnie a rencontré un obstacle à Mytho et elle a eu deux blessés qui ont sauté sur une mine dans le camp, installées comme “piège à cons” contre les Viets. Ce sont les lieutenants FRANCHI et DOURIEZ qui en ont fait les frais avec des éclats dans les fesses.
29 octobre 1945 : J’ai une permission pour Saïgon. Je vais voir une Alsacienne avec des camarades. Les rues sont vide, aucune activité. Rien ne marche, pas de pousse-pousse à attendre le client. On sent l’état de siège et l’indigène ne veut rien nous vendre, dans la crainte de se faire couper la tête par le Viet-Minh. Les soldats japonais font la police sur les places publiques, les carrefours et dans les rues avec leur long sabre sur le coté. Pour aller et venir, nous sommes montés dans les camions gourkas, les indous sont très sympathiques. On entend toujours des tirs un peu partout et la pluie qui se remet à tomber à torrent par intermittence, donnant une note de fraîcheur après la chaleur qui nous accable, il faudra se faire au climat tropical. L’après-midi, la sieste est obligatoire jusqu’à 15h pour commencer le séjour et le soir sous la lumière, nous sommes empoisonnés par les “anophèles” (moustiques paludéens). Il faut bien s’enfermer sous la moustiquaire.
4 novembre 1945 : R.A.S. nous sommes de repos mais consignés au casernement.
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Eric de Vautibault Langue pendue
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Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Sam 26 Mar 2016 - 20:28
7 novembre 1945 : R.A.S. depuis 8 jours. Pluie, chaleur et fusillade à droite, à gauche. Le lieutenant GAZZI et quelques autres, ont reçu, qui du plomb dans les fesses, qui dans les bras ou dans le cuir chevelu. Pour le moment c’est la petite guerre mais il est probable que cela ne dure ainsi bien longtemps. Les armes de chasse vont vite être remplacées par des armes de guerre. Demain, des éléments de la Compagnie démarrent avec la Compagnie d’accompagnement pour Thay-Ninh à 80 kilomètres à l’ouest de Saïgon. L’opération étudiée sur la carte semble sérieuse et doit durer quelques semaines.
9 novembre 1945 : Je suis de cette opération, rien à signaler jusqu’à Trang-Bang. La route est faite sous la chaleur. Il y a de la résistance, non dans les fourrés mais dans la brousse. Il y a un blessé chez nous. A 11h, les éléments avancés sont à 8 kilomètres de Thay-Ninh, P.C. des Viets-Minh et des caodaïtes (secte religieuse un peu anti Viet-Minh). L’ennemi tire avec toutes ses armes : fusils de chasse, arc et flèches et fusils de guerre. Ce que nous craignons le plus, ce sont les arcs dont les flèches nous pénètrent sans pouvoir orienter le tireur. Nous avons 8 tués et une trentaine de blessés. Attention aux pièges préparés par les Viets : les trappes invisibles ou les mines sur la route.
10 novembre 1945 : La patrouille fait des prisonniers Viet-Minh et pour les faire parler il faut employer tous les moyens. On en fusille quelques-uns. Mes camarades luttent dans la rizière avec les viets, les sangsues et la chaleur, c’est épuisant.
11 novembre 1945 : Aujourd’hui, c’est la fête nationale. Messe à la Cathédrale suivie du défilé des troupes, pour une fois je ne suis pas de la revue. La prise d’armes a lieu derrière la Cathédrale où est dressée l’estrade présidentielle, les troupes sont massées Boulevard Norodom Sianouk, remise de décoration par le Général LECLERC follement acclamé, l’Amiral THIERRY d’ARGENLIEU est là, Gouverneur de l’Indochine, le Général GRACY (anglais) aussi. Le défilé n’est presque composé que de gourkas très acclamés, suivis d’éléments de la Marine, de l’Aviation et de troupes coloniales. La population est très heureuse. Le dernier défilé, celui du 2 septembre après la capitulation japonaise, était moins agréable pour les saïgonais, lorsqu’ils virent défiler les indigènes armés de flèches, de fusils et de bambous acérés dans l’intention de chasser les capitalistes.
12 novembre 1945 : L’atmosphère se calme, le cercle s’élargit autour de la ville, le ravitaillement commence à arriver, la vie est très chère et, comme en France, il y du marché noir. Le groupe libère le Lieutenant FRISON qui est dans la brousse depuis 2 années. Il s’y cachait avec ses partisans pour ne pas être fait prisonniers par les Japonais.
13 novembre 1945 : La section Marcouf-Guichard est toujours à Thay-Ninh, patrouilles sur patrouilles. Ils font souvent des prisonniers qui parlent après quelques petits supplices et finissent par être descendus ou alors on s’en sert comme guides car ils dénoncent assez facilement famille et amis.
16 novembre 1945 : L’équipe de Thay-Ninh rentre à Saïgon et nous fait part de toutes leurs histoires en ramenant quelques trophées. Je vais à Saïgon avec les Anglais, suis présenté au Consul de Suisse qui m’indique l’endroit où je trouverai Madame CHOLLET. Je me rends alors au Continental Hôtel où je passe une agréable soirée.
20 novembre 1945 : Je suis invité par Madame CHOLLET qui revient de Snoul, nous allons au bar Papillon. Ce sont encore les restrictions en ce moment et il n’y a ni pain ni dessert, comme en France. Je rentre au camp pour 14 heures.
22 novembre 1945 : Journée très chaude. La Compagnie est de garde, il y a des sentinelles un peu partout. Ce soir, je joue au bridge avec un camarade. Nous sommes toujours au camp Drouet à Cholon, il fait noir, il est 22 heures, nous n’avons toujours pas d’électricité et nous nous éclairons avec des boîtes de conserve remplies d’essence. Tout à coup, une porte s’ouvre et quelqu’un crie « au feu, au feu » ! En effet, il y a le feu à la Compagnie d’accompagnement, nous ne faisons guère attention sur le moment mais des lueurs nous font nous lever. Stupéfaction ! Le feu dévore à grande allure la baraque en planches où nous sommes, les munitions qui étaient entreposées sous la baraque commencent à exploser dans tous les sens, un vrai feu d’artifice !! Un vent fort souffle au même moment et repousse les flammes vers notre bâtiment lui-même en bois, comme est construit tout cet ancien camp hôpital japonais. Je saute sur mes photos, portefeuille, moustiquaire et tout mon paquetage, il faut faire vite pour sauver ce que l’on peut, le feu attaque la 18ème Compagnie, les obus éclatent sans arrêt et les éclats tombent de tous les cotés. La chaleur du foyer nous prend à la gorge, les officiers arrivent en toute hâte sur les lieux de la catastrophe, on m’envoie chercher mon half-track, il faut détruire le couloir qui unit les deux bâtiments de la 13ème Compagnie (la mienne) à la 14ème Compagnie pour couper le foyer d’incendie. On travaille à quelques mètres du feu comme de vrais pompiers. Mon capitaine tombe à mes pieds avec un éclat d’obus dans l’épaule, puis c’est le tour de COULAT d’avoir un éclat dans la joue.
Nous avons pu tout sortir avant l’arrivée du feu, les armes, les munitions qui étaient sous notre baraque, le barda et les couvertures. Tout est dans l’herbe près de nous, nous sommes fourbus, on n’en peut plus mais il faut encore sauver le bâtiment dans lequel il reste des affaires. Le couloir est enfin coupé, il faut éteindre le feu aux poutres pour éviter que notre baraque ne tombe à son tour. A minuit, tout est à peu près terminé, les pompiers arrivent et noient les derniers brasiers. C’est aujourd’hui le 22 novembre, jour anniversaire de la libération de Strasbourg, un anniversaire bien arrosé avec un magnifique feu d’artifice dont on se souviendra.
23 novembre 1945 : Le Général LECLERC arrive sur le lieux et engueule le Capitaine SORRET, commandant de la compagnie d’accompagnement. Pendant ce temps, les troupes Gourkas, croyant à une attaque du camp par le Viet-Minh, encerclent le camp d’un cordon humain très serré. A 1 heure du matin, une pluie torrentielle arrive à souhait pour éteindre toutes les flammes, nos affaires sont trempées et nous allons nous coucher dans un fouillis indescriptible. Mais quel beau feu nous avons eu cette nuit-là. Enquête faite : en arrivant nous n’avions pas de lumière et une boîte de conserve avec de l’essence a été renversée accidentellement sur le plancher.
26 novembre 1945 : Nous allons dans les magasins d’une plantation de la Société des “TERRES ROUGES” et nous chargeons plusieurs camions de plaques de caoutchouc, puis nous rentrons vers 5h à Saïgon. Cela m’a sorti un peu, j’ai pu admirer les plantations d’hévéas et tout l’effort social qui a été réalisé pour le personnel d’exploitation. Nous quittons ce camp Drouet, bien sinistré, pour aller nous installer dans une école d’aveugles, derrière le camp et nous sommes plus infiltrés dans le quartier indigène, nous n’avons pas perdu aux changes et nous sommes bien dans ces locaux. Le lendemain, je vais voir Monsieur BEAUCARNOT puis au cinéma à Saïgon. Journée calme.
30 novembre 1945 : Aujourd’hui, je suis désigné pour l’escorte d’un convoi de ravitaillement sur Thay-Ninh. A mi-chemin, la route est coupée sur une centaine de mètres, nous ne pouvons songer à poursuivre notre route et faisons demi tour pour rentrer chez nous. En rentrant, nous allons faire quelques courses au marché escortés d’un “nhio” qui discute les prix en notre faveur. Après, je vais voir MARCOUF et quelques camarades et à 11 heures nous partons après avoir embarqué quelques balle de caoutchouc. Pendant ce temps, nous apercevons les plantations de cocotiers et d’ananas, plus loin la forêt dense avec tout l’inconnu qu’elle renferme et les surprises qu’elle nous réservera un de ces prochains jours. Nous n’avons pas trop confiance dans ces jeunes “nha-qués”. Après une dénonciation indigène, nous faisons une expédition nocturne dans le quartier des paillotes, tout se fait dans le plus grand silence et le calme, nous ramenons quelques individus. En rentrant à l’école, une sentinelle a fait feu sur un suspect et l’a descendu. C’est au tout des prisonniers de parler avec l’aide efficace du “raton” de MONTFREDY qui s’en donne à cœur joie. Le lendemain nous en fusillons un sur le rebord de la tranchée.
1er décembre 1945 : Nous reprenons la route de Thay-Ninh, la route est réparée, en partie, ce sont des trappes grandes et profondes dans lesquelles sont plantés verticalement des bambous bien effilés et pointus pour empaler les bêtes (éléphants ou tigres) ou des militaires.
Ces trappes sont recouvertes d’un couvercle, lui-même camouflé par des herbes ou autres éléments qui les rendent invisibles, mais nous pouvons passer, c’est le principal et nous arrivons au chef-lieu de province vers 6h. Nous couchons dans la citadelle, tous les camarades sont en position, il ne reste que les éclopés.
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Eric de Vautibault Langue pendue
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Sujet: 1945 se termine.. Dim 27 Mar 2016 - 18:50
5 décembre 1945 : Nouvelles dénonciations, nouvelles sorties, bonne prise. Nous retrouvons au cours d’une réunion deux des personnes que nous avions renvoyé la veille. Cette fois, nul doute, le père et le fils ne veulent plus parler, la menace ne les fait plus fléchir et nous les abattons auprès de la trappe. Le quartier commence à comprendre l’efficacité de notre présence, la population reprend confiance et nous donne une aide efficace. Tous les soirs, un fusil japonais nous tire dessus et il n’y a pas moyen de le repérer.
9 décembre 1945 : Retour de la section MARCOUF qui revient de Thay-Ninh avec un gros ravitaillement de bananes, ananas, pamplemousses, poules, canards ou cochons, une vrai razzia !
10 décembre 1945 : MARCOUF repart pour la troisième fois. Restant au camp, j’en ai marre de nettoyer les arrières, cela manque de charme. J’en parlerai au Lieutenant LEVY, il pensera à moi la prochaine fois.
11 décembre 1945 : Les troupes Gourkas font une sortie dans le quartier des paillotes, ils commencent par encercler le quartier et y mettent le feu, obligeant les indigènes à déguerpir, les francs-tireurs ne sont pas les bienvenus.
20 décembre 1945 : Retour de MARCOUF, chargé du ravitaillement comme d’habitude, mais ce coup-ci c’est en prévision de la fête de Noël. Je vais une dernière fois à Saïgon voir Madame CHOLET des Tuileries de l’Indochine.
24 décembre 1945 : Gros travail de nettoyage ce soir. Messe de minuit au camp Drouet. Office plein de recueillement au grand air et il fait très chaud, cela change des Noëls de chez nous avec souvent le froid et parfois la neige. Nous pensons aussi à nos familles. Après la messe, petit réveillon avec quelques bouteilles qui sont les bienvenues.
25 décembre 1945 : Messe à l’Eglise Saint Joseph, journée de fête mais pas pour nous en tout cas, puisque nous devons tout charger : munitions, paquetage et ravitaillement pour devoir partir dès que possible. Dure journée et quelle chaleur.
26 décembre 1945 : Nous partons en opération plus au nord vers la région des trois frontières (Annam, Laos, Cambodge) pour province : Ban –Me – Tuot, c’est la région des plantations d’hévéas, des hectares et des hectares d’arbres bien alignés au cordeau.
Epilogue de cette année 1945
Pour moi, c’est la fin d’une année historique que nous passons en Indochine française (encore) mais déjà on sent dans l’air une certaine opposition de la part de nos amis américains aux idées un peu anti coloniales. Défendons-nous nos territoires de l’Empire ou bien faisons-nous de l’anti communisme, ce qui ne plait pas beaucoup à Paris. L’avenir nous le dira plus tard.
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Sujet: Bonne Année 46!! Mar 29 Mar 2016 - 19:08
31 décembre au 17 janvier : opération de Phu Nieng et Nui Bara
Janvier 1946 : Finie la vie de caserne, nous voici maintenant installés dans les plantations d’hévéas des Terres Rouges , ces immenses étendues d’arbres à caoutchouc où chaque matin, après les coups de gong répétés, les coolies, munis de leur hachette, incisent l’arbre pour en faire couler un peu de gomme de latex dans de petits godets , comme dans les landes ou ils vont chercher la résine sur les pins. Nous vivons au milieu de ces familles indigènes qui habitent dans des cités où chaque famille a sa petite maison en dur, c’est un grand travail social qui a été fait dans ces plantations mais on y sent quand même une mauvaise ambiance dans certains groupes. Tous les jours nous patrouillons dans les plantations alentours à la recherche de caches d’armes, suite à des dénonciations. C’est un travail de routine mais qui n’est pas sans un certain risque.
22 janvier au 15 février : Opération du Sud Annam et Cochinchine.
24 janvier 1946 : Aujourd’hui ce sont les 25 ans de mariage des Parents, la famille ne sera pas au complet, c’est dommage. J’espère qu’ils seront heureux de faire la fête en pensant à moi.
Février 1946 : Nous devons remonter sur Nagh-Trang par Ban-Mé-Thuot, la Capitale de la Province, c’est la région dite des Trois Frontières (Annam, Cambodge et Laos). Il paraît que dans la forêt vierge il y a des tigres et des éléphants en plus des singes et des serpents, un vrai régal ! Nous rencontrons ces tous petits singes qui nous devancent dans la forêt lors des patrouilles et, malheureusement, préviennent les Viets de notre approche, ce qui ne facilite pas nos embuscades nocturnes. La route est sinueuse, le convoi roule lentement, je me trouve dans un G.M.C. (camion de transport de troupes) avec tout notre armement. Il est tard, la nuit est tombée, mon véhicule n’a plus de frein et va directement dans le ravin, heureusement que c’est dans la forêt vierge et qu’il y a de grosses lianes, notre camion est stoppé par une de ces lianes en suspension et se retourne avec les hommes et le munitions qui nous tombent dessus. Je m’en tire avec beaucoup d’émotion et trois côtes cassées. Il fait nuit, le convoi continue sa route jusqu’à Ban-Mé-Thuot et nous sommes seuls dans cette forêt inhospitalière en attendant demain que l’on vienne sortir le camion de sa fâcheuse position. La nuit est fraîche et l’on se fait un grand feu pour éloigner les bêtes sauvages qui auraient de mauvaises idées. Nous n’avons pas très bien dormi, mes côtes cassées me font mal en attendant de me faire soigner. Le lendemain, on vient nous rechercher mais j’ai une peur bleue de remonter dans ce camion ! Avec tous ces virages, dans cette montagne et les ravins alentours, j’en suis quitte pour avoir la poitrine bandée et, avec la chaleur, c’est loin d’être confortable. J’ai huit jours d’exemption de service, pendant que mes camarades iront faire une expédition dans les tunnels de Nia-Trang et ne rien trouver mais c’est mieux comme cela. Le 15 février, nous redescendons sur Saïgon pour préparer notre expédition au Tonkin afin d’être arrivés pour le 9 mars, date anniversaire du 9 mars 1945 des atrocités japonaises.
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Eric de Vautibault Langue pendue
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Sujet: Direction HANOI ! Mar 29 Mar 2016 - 19:09
28 février 1946 : Embarquement à Bien Hoa. Destination le Tonkin (2.000 km) L’embarquement se fait sur le “Barfleur”, un navire bananier très inconfortable même pour un transport de troupes, heureusement que ce n’est pas pour bien longtemps, il est prévu trois ou quatre jours.
1er mars 1946 : Nous avons bien picolé toute la nuit sur le pont nous servant dans les fûts de rhum de la Martinique. Des jeunes recrues arrivant de France débarquent lorsque nous rembarquons, le bateau est plein à craquer. Pour deux jours, on s’en contentera mais c’est loin d’être idéal sous ce soleil tropical. En attendant de débarquer au Tonkin, nous sommes entassés sur les ponts extérieurs du navire. Je me place à bâbord, ma toile de tente accrochée à la rambarde. Enfin, nous appareillons suivis du “Coffee” et du “Belleteugeuse”. Tout le monde est content de remonter vers le nord , il paraît qu’en cette saison il fait froid, mais nous ne sommes pas difficiles. DRONNE, le Libérateur de Paris en août 1944, et tous les officiers supérieurs sont sur le pont et dégustent comme nous tous les boîtes de conserve de corned-beef, installés sur leur lit “picaud”. Demain matin nous aurons la messe dans la salle à manger du Commandant car le Père FOUGEROUSSE, notre aumônier est dans la même galère que nous. Il mettra nos caravelles sous les auspices de la Providence. Voilà, nous avons quitté la Cochinchine et ses rizières. Nous avons fait par ici du bon travail, bien qu’il reste beaucoup à faire pour ceux qui vous nous relever et nous espérons continuer ainsi au Tonkin.
2 mars 1946 : Rien à signaler à bord et alentours. Nous avons dormi comme nous le pouvions, tout le monde est à la même enseigne : capitaines, commandants et colonels … mais nous remarquons une certaine fraîcheur au petit matin (nous sommes au mois de mars) et dans la journée la chaleur ne nous lâche pas. Nous avons fait convoi avec les matafs qui sont là pour nous protéger. La mer est mauvaise et mon camarade GODIN est malade comme à chaque fois que le bateau remue un peu. A bord, il n’y a pas grand chose à faire, la nuit tombe de bonne heure aussi nous ne nous couchons pas tard.
3 mars 1946 : R.A.S.
5 mars 1946 : Nous nous approchons des côtes du Tonkin. A 10 heures, nous retrouvons l’autre partie de la flotte qui avait appareillé quelques jours plus tôt de Saïgon, nous retrouvons le “ Béarn ” et le “Triomphant ”, les L.C.T et les L.S.T de débarquement. Nous sommes une belle escadre sous les ordres de l’Amiral AUBOYNEAU. Nous faisons des va et vient continuels, le “ Béarn ” et le “Triomphant ” font des exercices de tirs et le soir arrivant vers 22 heures, nous mouillons au large des côtes. L’attaque se fera peut-être par surprise, chacun s’interroge et demain nous serons peut-être à Haïphong. Nous sommes très impatients, chauffés à bloc, nous ne dormirons pas beaucoup cette nuit mais la vie à bord est très bohême par manque de place.
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Sujet: Débarquement d'Haïphong Mer 30 Mar 2016 - 17:12
DEBARQUEMENT D’HAIPHONG
6 mars 1946 : Toute la nuit, ce ne fut qu’un va et vient perpétuel de péniches de débarquement et des vedettes allant d’un bord à l’autre transmettre des messages secrets. A 4h, branle-bas, il fait nuit lorsque tous feux éteints nous démarrons. Tout est prêt pour débarquer. D’ailleurs, je suis avec le Commandant DRONNE à l’avant du navire et il me dit bien que nous descendrons « rien dans les mains et rien dans les poches » comme convenu avec les autorités et les occupants chinois. Puis on nous annonce que quelques feux partent en tête du convoi, mais qu’en aucun cas nous ne devons faire usage de nos armes, sans ordres supérieurs. Au petit jour, nous apercevons les côtes du Tonkin, déjà le contre-torpilleur est engagé dans la rivière, les deux L.S.T les suivent et nous venons en 3ème position après un L.C.T. qui porte les commandos de débarquement. Les rivages boueux sont désertiques, puis quelques coups de feu se font entendre. Nous avançons lentement et nous apercevons des blockaus à hauteur de terre, ils n’ont pas l’air bien solides, ce serait tentant de les détruire à coups de canons. Nous avançons toujours lentement et ce sont maintenant des mitrailleuses chinoises qui nous prennent pour cible. Sur le bateau, nous n’avons d’autre abri que la rambarde, c’est peu pour nous protéger ! je suis derrière un fagot de bois auprès d’une bite d’amarrage. C’est une précaution plutôt morale, mais il faut bien avoir l’impression d’être protégé par quelque chose. Le port d’Haïphong apparaît avec ses grues, ses appontements et ses voies de chemin de fer…Des blockaus en ciment datant des Japonais gardent la côte et tout d’un coup…des canons de « 37 » entrent en action. Les divers bâtiments de débarquement sont transpercés, nous sommes à 30 mètres de part et d’autre des rives, les balles sifflent dans les cordages et tout à coup une violente explosion suivie d’une grande flamme devant nous, les obus fusent dans tous les sens nous rappelant en tous points l’incendie du Camp Drouet le 22 novembre 1945. C’est un L.C.T qui était devant nous qui a sauté, il a pris un obus de « 37 » dans sa soute à munitions. Il passe entre nous et un L.S.T pour se protéger et va s’échouer sur la rive tribord, du coté où le tir est moins fourni. On comptera de nombreux morts sur ces bâtiments touchés, après avoir lutté contre l’incendie et l’avoir maîtrisé. A ce moment, le “Triomphant” entre en action. Il y a près de 40 minutes que nos “alliés” chinois nous prennent pour cible…heureusement ils ne pensent pas à tirer dans les soutes ou sous la ligne de flottaison, c’est si facile de nous couler, ce fut une sacrée chance. Le contre-torpilleur crache de ses canon de 220, une péniche de munitions qui explose à son tour à 50m de nous dans un bruit terrible et provoque un immense champignon de fumée nous faisant penser au champignon de la Bombe Atomique du mois d’août dernier sur le Japon. Ce sont alors les tirs, les sifflements de cette péniche qui s’envole dans les airs en morceaux. Un obus de 37 entre sur notre navire dans la salle à manger du Comandant et passe à 50cm du Commandant DRONNE qui est à coté de moi, un autre passe juste sous mon ventre. On n’a pas le temps d’avoir peur, « bandes de brèles » dit DRONNE en parlant de ces chinois, « ils ne sont pas fichus de nous avoir ». Les tirs de nos batteries se concentrent sur les dépôts de munitions dans la ville, ils sauteront toute la nuit. A 11h, les navires reçoivent l’ordre de se replier, le “Coffe” a un commencement d’incendie à bord et nous nous plaçons entre la rive ennemie et lui pour le protéger et afin qu’il puisse maîtriser le feu, il a de l’essence à bord pour nos véhicules !!! Les tirs adverses ont un peu cessé, j’ai vu des chinois s’enfuir et d’autres hisser le drapeau blanc. Nous faisons demi tour et allons mouiller à l’entrée du chenal, furieux de n’avoir pu débarquer en force et faire comprendre à ces chinois ce qu’ils entendaient par le mot “alliés”. A bord, nous n’avons qu’un blessé léger, mais les autres bâtiments doivent avoir des morts et des blessés. A midi, nous mouillons, chaque navire compte ses victimes et constate les dégâts de l’opération. On nous annonce que VARMENT a été tué, c’est le premier mort de cette journée. Il est parti sans souffrir ne poussant qu’un seul cri « Maman ». Un autre de la section de commandement subit le même sort ainsi que 5 autres de la D.B., il y aura de nombreux tués qui seront déposés dans l’après-midi sur un aviso colonial pour être enterrés au cimetière maritime dans ce site de réputation mondiale de la “Baie d’Along”. Les blessés sont aussi très nombreux, ils sont emmenés sur le “Béarn” qui est resté en mer et qui est transformé en navire hôpital, ils seront évacués sur Saïgon. Ce fut une journée très chaude et dont nous garderons longtemps le souvenir, des camarades que nous avons perdu pour une affaire qui a raté !!! Maintenant, nous attendons les accords entre Monsieur SAINTENY (Gouverneur de l’Indochine), HO-CHI-MINH et le Général LOU-HAN (Commandant des armées chinoises du Tonkin), mais il faut aussi les accords du Général Commandant de la place d’Haïphong. Le soir, on nous annonce que nous débarquerons demain, de gré ou de force, nous sommes prêts et préférons la force. Mais notre soif de vengeance ne sera pas assouvie encore cette fois. Nous sommes tous énervés, fatigués sur ce bateau surchargé sans pouvoir faire quoi que ce soit, nous ne pouvons qu’attendre !! Nous nous plongeons dans les bras de Morphée qui ne nous réchauffera guère, car une bise fraîche souffle de la mer sur ce bananier qui nous héberge. C’est très stressant de ne pouvoir être que les témoins sans pouvoir réagir.
7 mars 1946 : Rien de neuf depuis hier, le bateau qui s’était échoué a été renfloué avec la marée. Les docks brûlent encore et les explosions emplissent la nuit de leurs bruits grandioses et de leurs magnifiques lueurs.
8 mars 1946 : Nous sommes toujours à bord et il ne fait pas très chaud. Dans l’après-midi, les deux L.S.T. ont débarqué hommes et matériel et demain matin nous devons enfin descendre. Il est sérieusement temps car les vivres commencent à être épuisées : c’est la guerre !
9 mars 1946 : A 8h, nous appareillons lentement afin de nous placer dans le port. Une péniche de débarquement nous transporte à quai et de là, nous allons dans un hangar de l’usine où sont arrivés hier soir nos “alliés” chinois. C’est ainsi que, finalement, nous avons mis pied à terre ! Ils ne sont pas bien accueillants et construisent en toute hâte des blockaus de terre dans toutes les rues, comme si nous étions venus pour faire la guerre. La vie est très chère par rapport aux prix de Saïgon, on y trouve la même alimentation qu’en France, c’est très agréable mais c’est moins exotique que dans le sud.
10 mars 1946 : Nous nous installons dans la “Cimenterie d’Indochine”, tout autour de nos voitures qui sont dans un hangar. Quelques civils d’Haïphong viennent nous voir mais nous ne pouvons aller plus loin. Le soir, bonne soirée avec les copains mais pour combien de temps ?
13 mars 1946 : Nous débarquons le ravitaillement des péniches, ce sont les nha-qués qui font le plus gros du travail. Nous en descendons trois qui sont pris en flagrant délit de vol, ils ont ce vice là dans la peau. Cet exemple n’a pas l’air de les intimider plus que cela.
14 mars 1946 : Nous changeons de cantonnement et quittons la cimenterie pour nous installer sur le terrain de sport. Il brume sérieusement, le temps n’est pas chaud et nous allons prendre des bains chaud au frigorifique de la cimenterie, c’est fort agréable.
15 mars 1946 : Le Général LECLERC vient faire une petite visite sur le terrain, il n’a pas tellement confiance en nos amis chinois.
17 mars 1946 : Dimanche, il pleut toujours dans ce pays et ce temps de crachin me rappelle la Bretagne. Nous restons toute la journée sous la tente. Ce matin, messe dans les tribunes du terrain de sport. Le soir, je sors avec les copains au café où nous retrouvons des camarades de la 6ème Compagnie qui étaient avec nous à Nha-Trang. Nous prenons une petite « biture » des familles qui nous donne le mal de mer une fois couchés.
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Sujet: Libération d'Hanöi Ven 1 Avr 2016 - 20:24
LIBERATION DE HANOÏ
18 mars 1946 : Branle-bas ce matin. A 4h, tous les véhicules, sauf la 15ème Compagnie prennent la route pour Hanoï. Enfin, depuis huit jours que nous attendions ce moment. A 6h, le convoi est formé, la 13ème et la Compagnie d’Accompagnement sont devant avec les chars. Nombreuses jeeps, chars, auto-mitrailleuses et G.M.C, la 14ème ouvre la marche. Nous sommes 2500 hommes qui avons enfin réussi à avoir l’autorisation de rentrer dans la Capitale du Tonkin. Le Général LECLERC est des nôtres avec le Général de LANGLADE et de GUILLEBON. La route est déplorable, quelques pont ont été bombardés pendant la guerre par les américains, ils sont reconstruits sur bois et nous devons les franchir lentement et avec beaucoup de précautions. Le Delta tonkinois est une vaste plaine de rizières, seuls quelques buissons çà et là apparaissent près des agglomérations et des temples. A mi chemin entre Haïphong et Hanoï, distants l’une de l’autre de 104km, il y a un chef-lieu de province du nom de Haï-Dang, cette importante cité où sont cantonnés des chinois et une caserne viet-minh. Un chinois arrête le convoi, chars en tête en braquant sa mitraillette sur le véhicule, pendant ce temps, leurs officiers montent sur nos voitures et contrôlent le nombre d’hommes et notre armement. Nous avions un peu prévu le coup et nos mitrailleuses (sauf une) et nos fusils sont cachés sous nos sièges recouverts par nos couvertures. Puis nous repartons très vexés que nos alliés contrôlent le nombre d’hommes et notre armement.. Très vexés que nos alliés n’aient pas plus confiance en nous qui venons pour les relever et leur permettre de rentrer chez eux ! Mais la relève, ils n’y tiennent pas du tout. Ils sont tellement bien installés chez le Gouverneur et dans les écoles… A 14h, nous arrivons à Gia-Lam (banlieue de Hanoï) où se trouve l’aérodrome. Le convoi s’est arrêté près du dépôt de munitions, complètement détruit par les Américains. Nous attendons que les voitures qui nous précèdent passent le Pont Doumer qui est tout juste assez large pour le passage des automitrailleuses et des half-tracs. Nous nous trouvons devant un immense pont Eiffel de 1800m de long qui traverse le fleuve rouge, la ligne de chemin de fer à voie unique passe au milieu et de chaque coté il y a un sens unique pour les voitures et les piétons. Nous accrochons quelques planches des bordures de trottoirs mais ça passe. Les indigènes ne sont pas fiers de voir passer tout ce matériel moderne et les chinois qui gardent le pont, non plus. A 16h, nous avons tous franchi le fleuve et fonçons à vive allure on ne sait trop où ? A notre grande surprise, nous débouchons sur la Place du Théâtre de Hanoï que nous reconnaissons car il ressemble à l’Opéra Garnier de Paris (en plus petit). Et nous voilà sur la grande avenue de Hanoï, l’avenue Paul Bert, où une foule se presse pour nous accueillir et nous attend les bras ouverts en nous lançant des canettes de bière qui sont les bienvenues par cette chaleur et la poussière de la route, nous avons tellement soif. Quelle liesse, c’est une vraie libération pour tous ces français du Tonkin ! Je me demande comment ces gens ne se font pas écraser par tous ces chars qui débouchent. Le Général LECLERC nous double avec sa jeep et fait l’objet d’une ovation délirante, la foule nous dit son impatience de nous avoir attendu et nous nous dirigeons vers le Grand Lac et le lycée du Protectorat, notre résidence ! On s’entasse comme on peut au 2ème étage (il y a longtemps que nous avions habité si haut). Nous rangeons rapidement nos affaires, nous nous lavons, nous en avions un si grand besoin après cette arrivée dans la joie. A 18h, on nous donne « quartier libre » jusqu’à 21h. Nous prenons le premier pousse-pousse qui nous emmène alors Dieu sait où ? Quelle folie ! Enfin, nous débouchons dans les quartiers indigènes, on nous regarde avec des yeux étonnés, tout le monde ne connaît pas encore notre arrivée et nous voilà avenue Paul Bert où les colons nous entraînent d’un café à l’autre, de Chez Marianne à la Taverne Royale, au Café de la Paix ou au Coq d’Or. Nous rencontrons aussi notre Commandant DRONNE au Continental avec le Général LECLERC, ils sont bien détendus maintenant. Il est 21h, mais nous ne sommes pas prêts de rentrer dans nos cantonnements. On est invité de toutes parts à danser mais il faut quand même penser au retour et nous enfourchons un pousse-pousse pour remonter et redescendre plusieurs fois l’avenue Paul Bert et le boulevard Borgnis des Bordes en chantant le chant de la 2ème D.B. et en criant après le boy qui tire notre pousse-pousse. Tout d’un coup l’un deux s’arrête et les autres en font autant au carrefour des deux rues, lorsque nous entendons dans la profondeur de la nuit, un chinois qui se met à crier et nous l’entendons armer son fusil avec sa baïonnette qui brille sous les rayons lunaires. Heureusement que nous avons réagi rapidement avec un bon coup de pied dans le bas des reins et nous redémarrons en vitesse. Tous les 50 mètres, des chinois sont cachés derrière les arbres de l’avenue, seule leur baïonnette qui brille sous la lune nous font deviner leur présence. Enfin, nous rentrons au Protectorat où le poste de garde nous attend, nous sommes bons pour écoper de 8 jours d’arrêt. Pour la libération d’Hanoï, cela commence bien : les gens, tout au long du parcours, nous racontent leurs souffrances sous le joug japonais, souffrances physiques et morales pour les civils et, pour les militaires, prison à Hoa-Binh, combien ils ont été pillés par les Japs, les annamites et les chinois, en plus, vexés par la race jaune. D’une table à l’autre dans les cafés, nous entendions les mêmes doléances au sujet du « Coup du 9 mars 1944 ». Ah, ce 9 mars, ce qu’il a pu faire couler de salive, de richesses accumulées pendant des années et détruites en si peu de temps. Combien le Général LECLERC avait à cœur de venger ce « coup » là par un brillant « Coup de MASSU ». Mais nos chers alliés chinois ne nous ont pas permis cette satisfaction. S’ils ne s’arrêtaient que là mais, peureux comme ils sont, et avec la mauvaise foi que nous commençons à leur connaître, l’on peut s’attendre à tout. Il paraît qu’ils doivent partir vers le 19 avril, pendant ce temps, ils se servent et les habitants de Hanoï commencent à être fatigués de leur présence. Quelle folie que cette journée où toute l’armée a bu en arrivant à Hanoï, il eut été si facile pour les Viets d’attaquer à ce moment là et la guerre d’Indochine n’aurait pas duré bien longtemps, nous étions sans défense et tous plus ou moins bourrés au milieu de tous ces colons dans la joie des retrouvailles…
19 mars 1946 : Je suis de garde au Protectorat. Le Commandant DRONNE nous donne 8 jours d’arrêt de rigueur, tout en nous félicitant de notre comportement à l’arrivée à Hanoï et nous dit que cette arrivée a été une grande joie pour les civils et son étonnement que cette liesse n’ai pas provoqué de débordements avec le Viet-Minh et les chinois. Les civils viennent nous voir comme des bêtes curieuses derrière les grilles aux portes de la Citadelle. Nous faisons connaissance avec la population et nous sommes très fiers de nous.
20 mars 1946 : Relève de la garde du Protectorat à 8 heures, nous démarrons pour élire domicile à la Citadelle. Nous sommes accueillis par tous les anciens de la Coloniale qui sont en Indochine depuis des années, des durs. Ils sont heureux de nous voir débarquer et s’étonnent de voir tout le matériel dont nous disposons, ils n’en croient pas leurs yeux de voir tout ce qu’ils avaient admiré dans les actualités cinématographiques (la télévision n’existait pas à cette époque). Tout est pour eux une révélation comme ce fut pour chacun d’entre nous au moment de la libération de la France avec les troupes anglaises et américaines en Normandie.
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Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Dim 3 Avr 2016 - 16:58
21 mars 1946 : Préparation et nettoyage du matériel pour un grand défilé demain, il y a beaucoup de travail pour que cela soit impeccable. Une femme est abattue dans le quartier chinois. Alerte, c’est une histoire avec les troupes chinoises, ce n’est qu’un commencement !!
22 mars 1946 : Aujourd’hui, c’est le grand défilé officiel en l’honneur de notre arrivée, le matériel est propre mais il n’a pas eu le temps de passer à la peinture. Revue boulevard Carnot par le Général LECLERC, accompagné de HO-CHI-MINH puis défilé devant le monument aux morts français et vietnamiens où se trouve la tribune. Une foule importante nous crie sa joie à ses libérateurs mais ce qui n’a pas été apprécié, ce fut l’ouverture du défilé par les troupes d’HO-CHI-MINH.
23 mars 1946 : Enfin ma “taule” fictive est terminée, cela ne m’a pas beaucoup gêné mais, maintenant, je vais pouvoir sortir de la citadelle et faire un saut chez mes amis BEAUCARNOT que je n’ai pas revus depuis Saïgon.
26 mars 1946 : Je vais à la société des Tuileries d’Indochine et rencontre Monsieur BEAUCARNOT qui me présente à sa femme et à ses filles, Nicole et Claude. L’aînée est ma marraine de guerre, mais quelle timidité !
29 mars 1946 : Nous sommes de service pour présenter les honneurs à Monsieur SAINTENY, Gouverneur de l’Indochine, à cette occasion il est fait Caporal d’honneur du Régiment de Marche du Tchad (R.M.T). Le Colonel MASSU présente la 14ème Compagnie, issue de la 2ème D.B. et fait l’historique du Régiment.
31 mars 1946 : Messe au cinéma de la Citadelle, l’après-midi nous faisons un match de tennis de table, le sort m’oppose à l’Adjudant chef qui est très fort mais je suis heureux, je me suis bien défendu en faisant 22/24 et 24/26. Il est battu en finale, c’est vexant pour moi.
1er avril 1946 : Les anciens de la Légion Etrangère partent demain et ils arrosent très sérieusement cet événement, il n’est pas bon de tomber entre leurs pattes en ce moment. Certains boivent jusqu’à huit “torpilles” par jour. Ils sont de tous les pays et de toutes les langues, une vraie tour de Babel mais quelle beuverie ! Il faut dire qu’ils en ont vu de toutes les couleurs avec les troupes japonaises en face, ce sont presque tous des revenants. Ce furent des lions mais leur départ facilitera beaucoup les relations avec les chinois et les troupes viet-minh. Des congaïs pleurent leur départ.
6 avril 1946 : Aujourd’hui encore une prise d’armes, nous sommes désignés pour faire la police. Le défilé commence par la Marine mais les chinois intrigués nous dressent leurs batteries de canons. Quelle confiance pour des alliés et quelle ambiance !
9 avril 1946 : Finis d’être couchés les uns contre les autres dans le garage et sous la tôle où le soleil tape fort. Nous changeons une fois encore de cantonnement et allons nous installer chez les Spahis qui sont au Protectorat. C’était les locaux pour les tirailleurs indigènes, mais pour nous ils nous suffiront pour commencer notre vie à Hanoï.
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Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Lun 4 Avr 2016 - 19:39
15 avril 1946 : Les retardataires en provenance de Saïgon étaient en convalescence au Cap Saint Jacques, ils arrivent ce matin. Alerte à 11h, mais nous sommes toujours prêts à partir, nous sommes de jour. DRONNE s’est fait arrêter et encercler par des éléments chinois, il est furieux car ces alliés avaient posté des fusils mitrailleurs sur tous les toits autour de la citadelle.
16 avril 1946 : Nous allons au cinéma à la citadelle voir “La charrette fantôme”.
18 avril 1946 : Jeudi saint. Nous apprenons la mort subite de l’Aspirant HEBERGER, un jeune type promis à un bel avenir, il est mort dans la nuit du choléra. Quelle mort rapide et stupide ! Pluie toute la journée. Camouflage de la jeep chinoise appelée “chin-chin” par le Lieutenant TABUTEAU.
19 avril 1946 : Vendredi saint. Je vais dans la soirée au chemin de croix rue Paul Bert, pour faire un tour. WARTEL m’invite chez COUILLET. Madame de ROSNY, notre infirmière, est, à son tour, atteinte du choléra et elle est très malade.
20 avril 1946 : Samedi saint. Je vais chez les BEAUCARNOT. Dans l’après midi, nous assistons à l’enterrement du Lieutenant HEBERGER. Rapport de DRONNE qui nous recommande la prudence avec les “bandes de sauterelles” que sont les chinois.
21 avril 1946 : C’est Pâques aujourd’hui, la fête de la Résurrection, grande messe à l’église des Martyrs que célèbrent également les hanoïens comme il se doit. Nous sommes d’alerte aujourd’hui, manque de pot c’est moi qui suis de faction à la radio et c’est donc moi qui reçoit l’alerte. Au coin de la rue Paul Bert et du Petit Lac, les chinois ont fait un accident de voitures et se mettent à tirer un peu partout et sur tous les français qui passent par là. La situation s’aggrave, notre compagnie sort les obusiers et les FM, alors nous mettons un « 75 » en batterie sur la baraque qu’occupent les troupes chinoises dans la citadelle : ils ne bronchent plus. Il y a 12 militaires tués et plus encore de chinois. Certains d’entre eux ont été désarmés. A 18h, la situation est rétablie, nos voitures rentrent à l’heure pour l’inauguration du foyer de la 2ème D.B. Mais c’est raté, nous sommes d’alerte et l’on nous fait doubler la garde autour de la citadelle pour ne pas être encerclés par nos amis chinois. Ce sera une journée de Pâques sanglante.
22 avril 1946 : Grande émotion, on nous pique contre le choléra, c’est un simple vaccin sans grande réaction mais je trouve que c’est préférable plutôt que de risquer sa peau. Ces maladies là ne préviennent pas.
23 avril 1946 : C’est aujourd’hui les funérailles des 12 soldats viet-minh (nos alliés), tués dans l’attentat chinois du jour de Pâques. Nous présentons les honneurs dans le cimetière de la citadelle, 3 voitures H.T. et un obusier d’un coté et la D.I.C. en face. Le convoi arrive avec trois cercueils par dodge recouvert du drapeau tricolore et de fleurs, la musique joue la « Marche funèbre » et une foule considérable se presse depuis l’hôpital et la Cathédrale, les commissaires anglais et américains sont présents. Le Général VALLUY et le Colonel MASSU font de longs discours qui expriment les bons sentiments vis à vis des chinois. Défilé de la foule, des femmes pleurent, cérémonie émouvante qui nous a beaucoup touché et que nous devrions ne pas oublier !
25 avril 1946 : Toute la journée nous avons été de corvée au port, derrière l’hôpital, pour décharger 2 péniches de munitions. Le fleuve est bien bas et la berge élevée, il a fallu charger bien des obus pour remplir les G.M.C. qui faisaient la queue. Il y avait de tout : des obus de 57, de 75, des balles de mitrailleuse, des grenades et des mines et en plus la chaleur qui nous facilitait pas la tâche. A 16h, nous avons assisté à l’arrivée de l’avion du Général JUIN qui vient de Chine, nous en avons profité pour prendre quelques instants de détente.
26 avril 1946 : Notre 14ème Compagnie est requise pour présenter les honneurs au célèbre Général JUIN (héros de la campagne d’Italie), il a fait du bon boulot à Tchoung-King avec TCHANG-GAI-TCHEC pour nous libérer de la présence des troupes chinoises devenues une véritable vermine. Avec ces mercenaires, tout été bon à être embarqué : lavabos, bidets, robinets, meubles, vaisselle… et tout cela à dos de mulet. Le Capitaine BERNE nous invite à la plus extrême prudence vis à vis des chinois car la situation est très tendue.
29 avril 1946 : Une jeune fille de 19 ans a été abattue rue du Coton, elle est morte à l’hôpital. Depuis deux jours, nous sommes sans eau et nous venons de nous rendre compte que la pompe était en panne. Il fait chaud et il est temps de s’en occuper.
30 avril 1946 : Les chinois sont toujours là, on dit que leur départ est retardé jusqu’au 15 mai. Leur séjour commence à se prolonger sérieusement. Les civils ont touché un fusil par homme dans chaque maison avec 50 cartouches au cas où…
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Sujet: Re: Groupement de marche en Indochine Mar 5 Avr 2016 - 17:47