
Alençon.
Et si, le 12 août 1944, Raymond Ciroux n'avait pas été là ?
Alençon a été libérée sans sang mais pas sans combats meurtriers.
Grâce à l'action conjuguée des militaires de la 2e DB et des Résistants, notamment Raymond Ciroux.
« La ville aurait été rasée, c’est certain ».
Raymond Ciroux en a un peu ras-la-casquette de certains propos et de certaines attitudes.
Le Résistant qui avait 19 ans l’été 44 a longtemps été victime de la guéguerre qui oppose les militaires et les civils.
Qui a le plus contribué à la Libération de la France ?
« Les deux, mon capitaine » ?
Pont pas miné, volontairement
Rappelons quelques faits.
Vendredi 11 août 1944 en fin de journée.
Le jeune Ciroux, 19 ans, sait que les Alliés sont aux portes sud d’Alençon (Orne).
Vers 22 h, il va les rencontrer : au hameau de Saint-Gilles, sur Saint-Paterne (Sarthe), où se trouve le capitaine Ernest Gaudet.
Il explique que l’ennemi a quitté Alençon.
Sauf que les nazis n’ont pas miné le Pont-Neuf.
Une faute ? Non.
Pas du tout : des troupes venues de la forêt de Perseigne doivent prendre la place.
L’ennemi n’a donc pas quitté Alençon en oubliant de faire quelque chose.
Avant le lever du jour
Le vide défensif est momentané.
Le général Leclerc donne alors l’ordre au colonel Noiret d’investir Alençon.
Ordre qui ne fut pas exécuté.
Leclerc le constate en se réveillant vers 2 h.
Une chance.
À 3 h 30, toujours à Saint-Gilles, Leclerc questionne Ciroux.
Les informations de 22 h sont-elles toujours valables ?
Le capitaine Henri Da n’a pas perçu de bruits de déplacement ennemi : les routes Alençon/forêt de Perseigne sont proches.
Donc, rien ne semble avoir changé.
Leclerc décide : « Il faut libérer Alençon avant le lever du jour ».
Scandale
À bord de la jeep du capitaine Da, Ciroux va alors guider la 2e DB.
« Lorsque nous sommes arrivés sur le Pont-Neuf, vers 4 h le samedi, Leclerc m’a fait signe de la main de passer le premier ».
Ciroux assure : « Leclerc a dit « Il faut que je fasse tout ». Pour lui, ce n’était pas la place d’un général d’être en première ligne ».
Allusion à l’ordre non exécuté.
Par le passé, certains ont assuré que Ciroux a dû avancer, mitraillette dans le dos.
Donc, « Leclerc se méfiait de Ciroux ».
Certains ? Plutôt un seul : Charles Leclerc de Hautecloque, un des fils du général, qui provoqua un scandale public le 12 août 2009 à la Halle au Blé.
Ce jour-là, Ciroux témoigne.
Michel Leclerc de Hauteclocque, autre fils du général, applaudit.
Agent double ?
Charles Leclerc, lui, se tait et prend la parole pour donner « une autre version », qu’il baptise « la vérité », qu’il tient de la maréchale veuve du maréchal mort en 1947.
Selon lui, Ciroux refait l’histoire.
Seul le général Leclerc a libéré Alençon.
Pire : Ciroux a été conduit « une mitraillette dans le dos ».
Sous-entendu : Ciroux est un suspect, un agent double.
Malaise dans le public.
D’abord parce que ce n’est pas l’heure et l’endroit.
Et puis il y a « les faits authentiques, incontestables après des années de vérifications », dira l’animateur Christophe Bayard.
« Cette histoire de mitraillette est totalement inventée », balaie Ciroux qui parle d’élucubrations.
Charles Leclerc a tenu ce discours à plusieurs reprises.
Et même par écrit.
Jaloux ? Mesquin ?
Précieuses indications
Ciroux évoque les faits et les témoignages écrits, notamment ceux du général Marc Rouvillois.
Il évoque encore les propos de Leclerc dès le 20 août 44 en lui décernant la Croix de guerre avec étoile d’argent : Ciroux est « venu spontanément se mettre au service » de la 2e DB, « lui a fourni de précieuses indications, accompagnant lui-même au péril de sa vie des officiers dans des circonstances dangereuses. S’est engagé au régiment après l’avoir guidé pendant 48 heures ».
Car Ciroux s’est engagé le samedi 12 août 44. À midi, il déjeune, place des Poulies, avec le capitaine Da : « je lui ai dit que j’allais m’engager avec la 2e DB. Le bureau d’enregistrement était aux Promenades ».
Dès le lendemain, il est sur un char, le Belfort, en route vers Carrouges : « je n’avais jamais touché une mitrailleuse… J’étais aide-pilote mais je ne savais pas conduire un char… ». Il se souvient du passage à Saint-Sauveur-de-Carrouges où le curé, aux anges, fait sonner les cloches.
En retrait
En 2012, Ciroux confiait : « j’ai été persécuté. Depuis 70 ans, un quarteron d’individus ignobles me jalouse pour avoir été le seul qui eut l’audace de renseigner Leclerc, au soir du 11 août, du vide défensif ».
Problème : certains croient plus facilement un fils de général, châtelain dans le pays d’Auge, « fils de son père » mais ni témoin ni Historien, qu’un Résistant qui s’est longtemps effacé.
Ciroux ne sera pas invité aux commémorations de la Libération.
Il quitte Alençon et n’y reviendra que pour prendre sa retraite.
Il lui faudra attendre 1988 pour avoir un début de reconnaissance avec l’attribution de la Légion d’Honneur, remise par le maire Pierre Mauger.
Un élu socialiste, ce qui a dû en froisser quelques-uns.
Ombre et frilosité
Et puis certains militaires ne veulent pas qu’on leur fasse de l’ombre.
Et quand sera (simplement) suggérée d’associer le nom de Raymond Ciroux au Pont-Neuf (l’Orne hebdo du 11 août 2009), qui monte au créneau ?
Jacques Bozo, ancien de la 2e DB qui s’est engagé après le 12 août 44.
Et qui écrira même au maire.
Et puis il y a des élus politiques frileux.
Champ de bataille
Revenons à notre question : et si Raymond Ciroux n’avait pas été là ?
Entre troupes nazies en forêt d’Ecouves (Orne) et troupes nazies en forêt de Perseigne (Sarthe), Alençon allait devenir un champ de bataille.
L’ennemi comptait bien s’appuyer sur Alençon pour mener une contre-offensive vers Le Mans (Sarthe).
Lorsque Leclerc libère la ville à l’aube du 12 août 44, des forces ennemies venus de la forêt de Perseigne sont déjà en route vers Alençon.
À une demi-heure près, le destin d’Alençon aurait pu basculer.
Pris de vitesse
L’ennemi a commis une erreur d’appréciation : il n’a pas capté la vitesse de progression de la 2e DB.
Dans la nuit du 11 au 12 août 44, Leclerc a compris qu’il y avait une occasion à saisir immédiatement.
Le renseignement fourni par Ciroux conjugué à l’audace du militaire ont fait le reste.
Les Alliés devaient bombarder Alençon le samedi 12 août 44 vers 10 h.
À l’heure prévue, des avions survolent la ville mais un dispositif d’information par le biais de panonceaux orange déployés les informe que la ville est libérée.
Donc qu’elle ne sera pas transformée en champ de ruines comme d’autres villes normandes.
Les bombardiers s’éloignent.
L’église Notre-Dame, la Halle au blé, le château, l’hôtel de ville, les hôtels particuliers, etc. sont toujours debout.
Alençon a été libérée sans effusion de sang.
Mais pas sans combats meurtriers : avant et après le 12 août 44.
75 ans après, Ciroux reste humble : « Je n’ai fait que mon devoir et je n’ai jamais tiré gloire de tout ça, mais de là à passer pour un imposteur… ».
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