Quelle joie de pouvoir présenter à tous ce journal tenu par
André PETITPE,
radio de l'AM de pointe du 1
er peloton du 4
ème Escadron des Spahis de la 2
ème DB!
Je remercie chaleureusement sa fille qui a rejoint notre forum
et qui prend le temps d'en taper chaque jour quelques lignes…
Quelle bonne idée!
Ce sont des notes prises sur le vif.
Témoignage sans prix de ce qu'ont vécu tant d'hommes…
C'est ce qui en fait toute sa valeur.Il ne faudra donc pas y chercher la précision d'un historien
compulsant ses nombreuses sources assis bien au chaud derrière son écran…
Pour aider le lecteur moderne,
quelques notes explicatives ont été intercalées.
Pour ne rater aucun épisode,
n'oubliez pas de cocher la case
«surveiller ce sujet»qui figure tout en bas à droite de cette fenêtre…
VOICI DONC LE JOURNAL DE CAMPAGNE:
06/08/1944:Nous sommes partis dans la nuit vers Le Mans en passant par Fougères, au sud de Laval, où, dans la nuit, nous avons traversé la Mayenne ou la Sarthe sur un pont de bateaux établi par le génie. L'eau était noire et les bandes de roulement étroites. Les bateaux s'enfonçaient au passage de chaque voiture. Nous passions distants les uns des autres, ce qui créait des ondulations du pont et des remous dans l'eau.
Nous nous arrêtons prés du Mans.
07/08/1944:Nous sommes cantonnés au même endroit en attendant d'aller vers
Mortain où la division allemande résiste et se reforme.
Nous patrouillons entre la Sarthe et la Mayenne. Nous entendons les tirs de mitrailleuses et les grondements des canons qui sont en contact avec l'ennemi. L'aviation allemande est venue nous rendre visite et a lâché quelques bombes.
Nous allons de ferme en ferme pour trouver quelques produits frais. Certains paysans ne nous accueillent pas à bras ouverts. À Saint Benoit, l'un d'eux n'hésite pas à vendre de la gnôle à deux cents francs le litre.
08/08/1944:Nous avons quitté ce coin et failli être pris à partie par l'aviation allemande qui bombardait le carrefour où nous devions passer. Nous avons roulé toute la journée et pendant la nuit.
09/08/1944:Nous nous sommes arrêtés vers deux heures du matin à deux cents mètres des positions allemandes. Nous avons attaqué à l'aube. Les allemands se replient. Premières pertes, premiers blessés. Ils font sauter une de nos AM.
10/08/1944:Toute la journée, nous avons continué à attaquer. Nous avons fait de nombreux prisonniers.
Le soir nous avons failli être encerclés à
Courcelles. Nous étions en renfort au 5ème escadron qui devait rechercher le contact.
La patrouille envoyée en observation n'a rien remarqué de particulier. Le village était silencieux et calme. Nous avançons et pénétrons sur l'artère principale. Nous nous méfions, la population ne sortant pas des maisons pour nous accueillir. Soudain, des fenêtres du premier étage, des coins de rue, de toute part la mitraille se déchaîne. L'ordre de foncer circule sur les postes radio. Les moteurs hurlent, canons, mitrailleuses se mettent à cracher, des grenades sont lancées et nous traversons le village pour nous arrêter plus loin hors de portée de feu des allemands. Par chance, nous ne savons pas comment ça s'est fait, il n'y a aucun blessé et toutes les voitures sont en état de rouler. Mais maintenant nous nous trouvions du côté des forces allemandes et risquions d'être encerclés, attaqués. Notre puissance de feu n'était pas suffisante pour résister à des chars. Nous ne savions pas ce que nous avions en face, ni autour de nous. Il n'y avait qu'une chance de s'en sortir, c'était de retraverser le village et de rejoindre nos lignes. Le plan de passage est établi, nous attendons que le soleil descende un peu sur l'horizon, nous mettons les voitures en position et lentement nous avançons vers le village jusqu'aux premiers coups de feu. À ce moment, suivant la tactique établie, nous faisons hurler nos sirènes, nous tirons de tous les côtés à tir nourri et nous fonçons à travers la rue principale du village. Est-ce l'effet de la surprise, est-ce que les allemands ne s'étaient pas regroupés? Toujours est-il que seuls quelques coups de feu et quelques rafales nous ont répondu et nous sommes passés sans aucune perte.
Malgré ce repli, nous avons passé la nuit au milieu des sifflements des balles et des obus de mortier car les allemands sont partout dans cette région vallonnée.
11/08/1944:[
Carte 2ème DB de la Sarthe]
Ce matin, nous sommes partis reconnaître le terrain au Nord du Mans. Le contact n'a pas tardé à s'établir. Trois AM ont été touchées. Deux camarades sont morts carbonisés. À l'abri du mur d'une ferme, sur le haut de la crête, nous attendons à notre tour, l'ordre d'avancer. Les allemands qui tirent sont camouflés dans le bois et nous sommes à découvert. Sur l'autre versant les chars arrivent pour essayer de contourner l'obstacle. Deux sont touchés et brûlent. Les fantassins épaulés par les chars arrivent à la rescousse pour déloger le Panzer qui est réfugié dans le bois et nous empêche de passer. Ce n'est qu'après une chaude lutte que nous arrivons à prendre le village de
la Hutte situé à un carrefour de quatre routes importantes.
Nous fonçons vers
Fyé, village distant de trois kilomètres. Arrivés sur la place, des habitants nous préviennent que les allemands sont à la sortie du village pour faire sauter le pont. Nous partons en reconnaissance. Nous sommes arrivés à hauteur du cimetière quand nous voyons un "Tigre"
* de l'autre côté qui est en train de nous ajuster. Petit LOUIS qui conduit l'AM fonce en avant au moment où un motard boche arrive sur la route en face de nous. Nous lui passons dessus au moment où le "Tigre" nous touche à l'arrière. La voiture déséquilibrée rentre dans le mur du cimetière. Nous avons tout juste le temps de sauter avant qu'elle ne prenne feu. Les rafales de mitrailleuse nous poursuivent et les balles s'écrasent devant nous sur le mur.
Le lieutenant DUNOYER de SEGONZAC en reçoit une près du coude. Elle ressort près du poignet. Notre camarade LAFOLIE est touché par une balle explosive à la cuisse et reste à terre. Avec Petit LOUIS, je cours vers un talus qui sépare deux champs. Sur le chemin en contrebas arrive une voiture avec quatre allemands. Nous plongeons à terre. Petit LOUIS dégoupille une grenade et la lance dans la voiture qui explose. Nous bondissons vers le talus que nous escaladons. Nous sommes dans un champ qui vient d'être moissonné. En face, à l'autre bout devant la ferme, nous voyons toute une brochette d'allemands qui sont sortis sûrement pour se rendre compte d'ou venait la fusillade. Impossible pour nous d'aller plus loin. Nous plongeons de nouveau et nous nous mettons à ramper à l'abri des gerbes dressées en meules. On avait dû nous voir car des rafales de mitraillettes claquent. Petit Louis qui est un ancien du Tchad et en a vu d'autres dit "Dans les gerbes, on ne bouge plus, enterre les papiers". Nous nous glissons chacun sous un gerbier, j'enterre mon portefeuille et les codes secrets radio que j'avais toujours sur moi et en silence nous attendons. L'attente n'a pas été longue. J'ai entendu des voix qui se répondaient en allemand, des pas tout près du gerbier ou je me trouvais, quelques coups de mitraillette tirés par ci, par là. J'osais à peine respirer car je savais ce qui nous attendait si nous étions découverts.
Le calme est revenu, accompagné d'un grand silence. Plus de bruit de mitraille, plus rien dans la nuit qui commençait à poindre.
Soudain, j'entends la voix étouffée de Petit LOUIS:
- "Ça va?
- Ça va.
- On y va?
- On y va".
Nous quittons doucement nos gerbiers. Nous levons la tête pour inspecter l'horizon. En rampant, nous retournons vers le talus qui nous paraît maintenant bien haut. Nous nous laissons glisser en contrebas et nous nous dirigeons vers le village éclairé par la voiture qui brûle toujours.
Soudain un "Halte! Ou je tire", accompagné d'un bruit de culasse que nous connaissions bien nous fait rester sur place. Il ne manquerait plus qu'on se fasse "trouer" par les nôtres. C'était un camarade en faction à l'entrée du village et que nous n'avions pas vu, qui nous mettait en joue. Vite, nous nous faisons reconnaître. Il se précipite vers nous et nous prend dans ses bras: "Comment vous n'êtes pas morts?"
Il nous raconte ce qui s'est passé. Le peloton a attaqué les allemands qui ont décroché. La voiture, une roue arrière arrachée, avait été touchée dans le réservoir, et elle brûlait. Les deux corps qui étaient à côté (les deux motards allemands) étaient carbonisés. Nos deux camarades blessés avaient été évacué et les deux "cramés" ne pouvaient être que nous. Nous avions eu de la chance.
Dans le village, nous visitons le clocher, nous sonnons les cloches et nous rejoignons le peloton parqué dans un champ en dehors du village. Comme nous n'avons plus rien, des camarades nous prêtent une couverture et nous nous allongeons sur des gerbes pour passer la nuit.
—————
Note:
Laurent Fournier remaque qu'il s'agit plutôt d'un Panther, car la 2ème DB n'a pas rencontré de Tigre.
—————12/08/1944:[
Carte 2ème DB de l'Orne]
Il paraît que toute la nuit les allemands ont tiré et que les obus de mortier passaient en sifflant au dessus de nos têtes. Je n'ai rien entendu.
Nous quittons
Fyé pour
Alençon, une dizaine de kilomètres en ligne droite. La région est vallonnée et les allemands sont spécialistes pour nous attendre dans les creux ou au sommet des côtes. Dès que nous apparaissons, leurs canons de 88 sont efficaces et ne pardonnent pas. Aussi nous avançons prudemment en quinconce.
Au milieu de la route qui est large à cet endroit, apparaît un groupe d'allemands, en ligne, les mains en l'air, précédés par un des leurs qui agite un chiffon blanc au bout d'un bâton. "Nicht caput! Nicht caput!" Crient-ils.
Nous nous arrêtons; des camarades descendent des voitures pour s'avancer vers les allemands. À ce moment là, un ordre retentit, les allemands se jettent à terre et deux fusils mitrailleurs, en batterie derrière eux, se mettent à nous "arroser". Nos camarades se replient à l'abri des voitures et les allemands en rampant avancent, s'approchent pendant que les fusils mitrailleurs continuent à tirer. À ce moment, devant cette situation critique , l'obusier de 75 qui était avec nous, manoeuvre, se place au milieu de la route, baisse son canon et tire sur les allemands qu'il a dans l'axe, à une centaine de mètres. Les bras, des jambes volent en l'air; les deux fusils mitrailleurs se taisent et un gros trou apparaît au milieu de la route et nous recevons des éclats. Il achève le travail avec la mitrailleuse anti-aérienne de 12.7 qui roule dans la poussière les quelques corps qui bougeaient encore.
Les camarades remontent en voiture et nous arrivons à
Alençon ou nous faisons une entrée triomphale. Nous ne nous arrêtons pas. Notre cantonnement est à quelques kilomètres, à
Saint-Germain, à proximité d'une ferme où habitent plusieurs réfugiés.
13/08/1944:Nous avons passé la journée à la ferme. Dans l'après-midi, nous avons fait mouvement. Sur des plaques indicatrices, nous pouvons lire Paris. Va-t-on en prendre la direction?
Les panzers allemands sont là, dans
la forêt d'Écouves où ils essayent de se regrouper et d'attaquer.
Nous nous arrêtons dans un champ en contrebas de la route à
Mortrée, entre
Sées et
Argentan. Nous sommes au Nord de
la forêt d'Écouves, de la poche où sont contenus les allemands. Pour la nuit, nous camouflons les voitures sous les arbres et les filets de protection. Elles sont en état d'alerte, les armes prêtes à tirer.
14/08/1944:Drôle de réveil. Cinq chars allemands se sont amusés à nous attaquer à six heures du matin au moment où tout le monde dormait.
La riposte ne s'est pas faite attendre. Nous étions prêts. L'obusier, le "lance-patates" comme nous l'appelons, a fait parler de lui avec son 75 court. Trois chars et un camion ont été détruits et nous avons fait de nombreux prisonniers. Un des chars allemands que son équipage a abandonné, est en parfait état de marche. Même la radio fonctionnait encore et nous entendions des appels en allemand. Nous avons essayé de répondre en français. Il fait partie désormais du peloton.
15/08/44:Nous sommes toujours à
Mortrée en position d'attente. Nous avons fait une sortie avec le char allemand. C'est un gouffre d'essence. Il doit faire ses cent litres au cent. Son maniement est lourd et sa vitesse réduite. Il n'arrive pas à suivre les AM et est une gêne plutôt qu'autre chose. Nous décidons de nous en débarrasser. Pour le détruire, nous tirons dessus avec nos petits canons de 37. A notre surprise, nous voyons les obus ricocher sur l'avant du char protégé par une plaque de béton qui est à peine égratignée. Nous n'avons pas intérêt a nous trouver en face d'eux. Nous le faisons sauter à la grenade.
17/08/44:Nous avons fait la connaissance de braves gens.
20/08/44:Nous sommes partis ce matin faire une patrouille dans
la forêt d'Écouves. Dans notre secteur, nous n'avons rien remarqué de particulier.
Les allemands auraient-ils disparu?
21/08/44:Par une pluie battante, nous quittons
Mortrée, direction Paris.
Nous quittons les forêts et les vallons et pénétrons dans
la Beauce. Au loin se dresse la cathédrale de
Chartres.
Aux carrefours, des motards nous indiquent la route à prendre. Nous circulons jusqu'au soir et nous nous arrêtons quelque part dans la campagne après avoir évité tous les grands axes.
22/08/44:Toute la journée nous roulons et nous arrêtons le soir à
Arpajon (Seine et Oise
*). Nous approchons de Paris…
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Note:
Ce département n'existe plus. Arpajon se trouve actuellement dans l'Essonne.
—————23/08/44:Nous quittons Arpajon pour Paris où nous devons arriver les premiers avant les Américains.
[
Carte 2ème DB des Yvelines]
PIQUET est tué à trois kilomètres de
Cernay-la-Ville. Nous passons à
Dompierre* et nous arrivons à
Voisins-le-Bretonneux où nous sommes arrêtés par une forte résistance allemande. Après avoir résisté et attaqué pendant quatre heures nous nous retirons pour la nuit.
—————
Note:
Il s'agit probablement plutôt de Dampierre-en-Yvelines.
—————24/08/44:Nous revenons à
Voisins-le-Bretonneux et attaquons toute la journée. Les allemands ont enterré les chars sur le terrain d'aviation et seuls les tourelles et leurs canons sont à ras du sol et tirent dès que nous apparaissons. Nous sommes en observation dans une rue du village près du terrain d'aviation dont nous sommes séparés par un mur, quand nous sommes attaqués à coups de grenades.
Je n'ai pas eu le temps de voir qui c'était. Un de nos camarades a bondi sur son A-M, pris le mortier de 80
*, a coincé le tube dans l'encoignure d'une fenêtre et tiré à bout portant presque à la verticale. Nous avons eu deux blessés légers mais il n'y avait plus d'allemands, ni de mur à cet endroit. Le mortier a continué à tirer en direction des buttes qui protégeaient les chars d'où étaient partis les fantassins.
Nous allions tirer sur sur un officier allemand qui arrivait sur la route accompagné de deux autres dont un en chemise.. "Eh, ne tirez pas ! C'est moi!"
C'était notre camarade ETCHEGOYEN, qui, en patrouillant, venait de faire deux prisonniers. Pour s'amuser, il avait revêtu la vareuse de l'officier allemand et mis sa casquette. Il avait surpris ces deux allemands au milieu de la route en train de mettre en place cinq mines superposées et piégées.
En fin d'après-midi, les allemands décrochent et nous laissent la place libre. Nous couchons au village.
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Note:
Laurent Fournier signale que c'est probablement un mortier de 60, & qui provient d'une jeep. On ne trouvait des mortiers de 80 que sur les Half-Tracks de la Section Mortiers des CA du RMT.
—————25/08/44:Nous quittons
Voisins-le-Bretonneux en direction de
Versailles où nous arrivons sans encombre. La foule est en délire. Nos voitures arrivent à peine à se faufiler dans la cohue.
[
Carte 2ème DB des Hauts-de-Seine]
Nous quittons
Versailles pour
Sèvres. Partout une double haie d'honneur nous acclame. Des gens se précipitent, nous jettent des fleurs, nous font passer des bouteilles, cachées depuis quatre ans.
[
Carte 2ème DB de Paris]
L'après-midi, nous faisons notre entrée dans
Paris par le Pont de Sèvres et allons sur
l'hippodrome de Longchamp où l'escadron se regroupe.
Nous quittons presque aussitôt
Longchamp pour aller a
Neuilly en passant par la place de l'Etoile et l'avenue de la Grande Armée. A
Neuilly, avenue de Madrid, nous tombons sur une forte résistance allemande.
Les allemands sont retranchés dans un bastion aménagé dans le parc d'un château. Dans les arbres du parc en bordure des angles de rue, des plate-formes ont été aménagées. Elles sont armées de mitrailleuses qui nous prennent à partie dès que nous nous présentons. Nous nous déployons dans le quartier et attaquons de tous les côtés. Soudain Jean GUIGLINI qui avançait en éclaireur a côté de la voiture, crie: "Ils m'ont eu". Il continue à marcher à cloche pied en se tenant à la voiture. Il venait de recevoir une balle dans le pied. Il nous fait signe en montrant un toit d'où partent des coups de feu. C'est un tireur isolé qui, caché derrière une cheminée, nous met en joue. Près de nous se trouvait un char lourd des Fusiliers marins. Le marin de la tourelle nous fait signe qu'il a vu. Il oriente sa mitrailleuse anti- aérienne vers la cheminée et se met à tirer. Des flocons de fumée apparaissent à la base de la cheminée et nous voyons petit à petit une découpe se faire. En un instant, nous avons vu la cheminée grignotée par les balles, descendre dans la rue avec le tireur qui la suivait.
À cinq heures de l'après midi les allemands se rendent et nous faisons un millier de prisonniers. Sur un SS qui avait failli "m'avoir", j'ai, en souvenir, récupéré sa baïonnette et son brassard. Il n'en avait plus besoin. Dans le sac d'un Waffen-SS, j'ai trouvé un petit revolver chromé a barillet d'origine américaine.
Dans l'hôtel où ils étaient retranchés, nous avons découvert une grande quantité de provisions, entre autre des caisses de sardines et de champagne. Toute la nuit, ou tout au moins durant une grande partie, nous avons sabré le champagne qui a coulé à flots. Et ce n'est que fort tard, dans la nuit avancée, que chacun s'est couché où il a pu, sur les tapis, les canapés, dans des fauteuils confortables.
26/08/1944:Nous sommes à
Neuilly. Le peloton reste là pour l'instant. Toute la journée, nous sommes allés à
Longchamp pour réparer la voiture. L'accélérateur était cassé, le radiateur à plusieurs endroits était percé et deux balles avaient traversé un pneu.
27/08/1944:Nous couchons dans une grande pièce sur des matelas que nous avons découverts, chose qui ne nous était pas arrivée depuis longtemps.
28/08/1944:La vie de château commençait à nous plaire quand, vers 10 heures, nous nous sommes repliés sur
l'hippodrome de Longchamp où l'escadron se regroupe.
29/08/1944:Nous sommes cantonnés à
Longchamp en attendant de repartir pour le front.
30/08/1944:Nous partons de Longchamp pour aller à
La Chapelle où des miliciens font encore parler d'eux. Nous réglons la situation et regagnons le soir le champ de courses.
31/08/1944:La foule des parisiens et des parisiennes vient nous voir, vient voir les libérateurs de la Capitale. Derrière les grilles qui entourent le champ de courses, nous avons l'impression d'être au zoo, les bêtes curieuses dans la cage.
Nous faisons tout de suite la différence entre les curieux et les personnes sincères qui viennent nous voir.
Des habitants de Neuilly me disent que je suis le premier soldat français à qui ils ont parlé. Ils ont pris une photo quand nous avons fait des prisonniers, avenue de Madrid et m'ont photographié. Ils me promettent la photo. Ils aimeraient bien nous accueillir chez eux et nous invitent. Avec JAUD et les camarades nous proposons un pique-nique au bois de Boulogne, le "Déjeuner sur l'herbe" pour demain si nous obtenons la permission de sortir.
Certaines personnes moins bien intentionnées nous ont proposé le trafic d'essence, de conserves, de vêtements. La guerre n'a pas moralisé les consciences et les profiteurs sont toujours très présents.
01/09/1944:Les gens de Neuilly sont venus nous chercher. C'est eux qui nous ont obtenu une permission de sortie. Vers midi nous nous sommes arrêtés au bord d'un bras de la Seine, sur une pelouse près d'un saule pleureur. Paysage charmant, bucolique, en pleine ville. Dommage que le temps soit à la pluie. Nous préparons notre petite cuisine et étalons nos conserves pour le plaisir de ces parisiens qui venaient de connaître les restrictions. Nous bavardons, nous faisons connaissance et le repas se prolonge jusqu'à quatre heures de l'après-midi. Les personnes qui nous ont invités appartiennent à trois familles du quartier que nous avons libéré. Une de ces familles nous invite chez eux où nous passons la soirée et la nuit.
02/09/1944:Nous ne sommes rentrés qu'à huit heures. Aussitôt nous avons posé une permission pour ressortir.
04/09/1944:Madame et Monsieur Dusoulier sont les personnes chez qui nous avions passé la nuit. Leurs amis sont Madame Corfmat qui habite avenue de Neuilly et Madame et Monsieur Bracchi qui tiennent le café des quatre portes, avenue de Madrid.
Chez Madame Dusoulier, nous avons fait la connaissance de deux jeunes filles:
Michou*, Micheline Waeterlinckx refugiée de Wattrelos, ville du Nord de la France et de sa camarade
Cricri*, Christiane Boulard qui est du quartier. Elles ont voulu être nos marraines de guerre et comme la mode est à baptiser les voitures, nous mettrons leurs prénoms sur la nôtre, si cela est possible.
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Note:
C'est ainsi que l'automitrailleuse sera effectivement baptisée "Michou-Crici".
—————05/09/1944:Monsieur Bracchi a sorti de la cave une antique bicyclette de dame qui, une fois derouillée, m'a permis d'aller, avec lui, faire connaissance avec Paris que je voyais pour la premiere fois.
(Je trouvais les Parisiens étranges.) Il découvrait Paris en même temps que moi. Comme moi, il avait entendu parler du Champ de Mars, des Invalides et de la Tour Eiffel. Il n'y a que celle-ci qu'il avait vue de loin par dessus les toits.
J'ai appuyé sur les pédales pour faire avancer ce vieux vélo et nous avons roulé Porte Maillot, avenue de la Grande Armée, place de l'Etoile, les Champs Élysées, place de la Concorde, l'Esplanade et les Invalides, le Champ de Mars et la Tour Eiffel. Je ne sais pas combien de kilomètres nous avons faits. Nous n'étions pas gênés par la circulation. J'ai vu des vélos-taxis en action.
Cette promenade a été magnifique. De retour au café, mes jambes n'en voulaient plus et mes cuisses étaient toutes endolories.
…/… à suivre…!